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amicc
Jauvier 1868.
lY.“ I.
L’ECHO DES VALLEES
—(.NOUVELLE SÉRIE)—
Que toutes les choses qui sont véritables........ occupeu^
vos pensées — ( Phiîippiens., IV. 8. )
SOMMAIRE — Avis. — Pasteurs et troupeaux Michel Bianqui. — Le kiosque
biblique. — Nécrologio: Pierre Baret. — Glanures.
AVIS. L' Echo des ykhtMs entre dans sa troisième année.
Sera-t-il assez heureux pour être soutenu, en 1868 par un nombre de
lecteurs suffisant? Telle est la question que nous nous sommes posé
plus d’une fois, et que l’accueil qui sera fait à ce présent numéro se
chargera de résoudre, en partie. Il ne nous appartient par de parler
des efforts que nous ferons pmir améliorer notre petite feuille-, mais
il est un point toutefois sur lequel nous osons prendre un sérieux
engageimnt, ge^ celui de la régularité dans T expédition.
Les personnes qui n’entendent pas renouveler leur abonnement^
pour 1868 sont priées d’écrire sur la bande le mot: refusé.
Quant aux conditions d'abonnement, rien n’est changé.
L.\ Direction.
PASTEURS ET TROUPEAUX
Mais ici se présente à mon esprit une pensée que je ne
peux (passer sous silence (1). Il me semble entendre dire à plus
d’un pasteur que je leur demande une chose plus impossible
encore que ce que leur impose, quant au culte, le rapport
annuel qu?ils ont à donner,sur l’état de leur paroisse.
(1) Voir l’article sur le CuHe domestique, 2« année, p. 147.
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Comment voulez-vous, me dira tel d’entre vous, que, chargé
de soucis au sujet du pain quotidien que je dois procurer à
mes enfants ; obligé de partager la tâche journalière de ma
compagne dans les soins matériels qu’exige ma nombreuse
famille, parceque je ne peux payer une personne de service
qui m’en décharge, obligé de consacrer bien des heures de la
journée à instruire mes propres enfants, faute de les pouvoir
placer à portée d’un établissement d’instruction, obligé même
de vendre pour de l’argent la plus grande partie du loisir qui
me reste, comment voulez-vous, dis-je, que je puisse encore
faire ce que vous demandez de moi ? Ne dois-je pas d’abord
avoir soin des miens et de ceux de ma famille, suivant la
recommandation d’un apôtre?
Pour faire comme vous dites il me faudrait être dans la
condition d’un très-petit nombre de nos pasteurs qui n’ont
que peu ou point d’enfants, ou bien qui ont des ressources
pécuniaires suffisantes pour les mettre à l’abri du besoin et
les délivrer de la nécessité de consacrer un temps précieux à
des soins purement matériels. Libre alors de tant de soucis,
je pourrais me consacrer entièrement à l’œuvre de mon ministère , et certes je ne demanderais pas mieux que de pouvoir
le faire ; mais il faudrait pour cela que mon honoraire fût
doublé ou peu s’en faut.
On doit convenir que ce langage révèle une situation grave.
Il n’est que trop vrai que les pasteurs qui ont famille , et qui
n’ont d’autres revenus que leur maigre honoraire, se trouvent
exposés à des soucis qui ne peuvent que nuire grandement à
l’œuvre pastorale. Ces soucis devraient leur être épargnés
pour qu’ils pussent consacrer tout leur temps, et se livrer tout
entiers avec joie et sans arrière pensée à l’œuvre du salut.des
âmes.
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— â —
On sait que dans les vingt-cinq ou trente dernières années,
la valeur monétaire a baissé de presque la moitié ; je \eux
dire que ce que l’on se procurait alors pour cinq francs, il
faut maintenant le payer dix, et ce que l’on payait six sous,
il faut le payer douze. Les impositions au contraire ont été
en croissant ainsi que beaucoup d’autres frais dont on pouvait
alors se dispenser à la rigueur et qui sont aujourd’hui devenus
nécessaires. Cependant l’honoraire des pasteurs est lesté
absolument le même. Or s’ils avaient alors strictement do quoi
subvenir aux besoins de leurs familles, il est évident qu’aujourd’hui ils n’ont plus de quoi y subvenir.
Un jeune homme qui ne manque pas de moyens, consacre
plusieurs années à des études spéciales pour se préparer au
saint ministère ; et chacun sait, qu’en la moitié moins de
temps, à égalité d’aptitude, il peut se préparer à une cai rière
beaucoup plus lucrative. On dira qu’on ne doit pas embrasser
le service de Dieu pour gagner de l’argent. D’accord ; ce
serait le plus triste des calculs que de se vouer au ministère
évangélique en vue d’acquérir une position terrestre , une
fortune. Mais du moins faut-il que celui qui s’y voue ait de
quoi vivre, sans être poursuivi par les inquiétudes, car enfin
l’ouvrier est digne de son salaire , et celui qui travaille à
l’autel doit vivre de l’autel.
On dira que les pasteurs devraient s’adapter à leur condition financière, et vivre plus économiquement. Us veulent
occuper un rang trop élevé, entend-on dire quelquefois, ils
veulent être des messieurs. Qu’ils s’abaissent donc à un niveau
où leur honoraire leur suffise, et ils n’auront plus à se plaindre.
— C’est plus vite dit que fait. La position qu’ils occupent,
ils ne se Ja sont pas faite eux-mêmes, elle leur a été faite par
la société au milieu de laquelle ils vivent. Quand on le voudrait
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— 4 —
absolument, on ne pourrait pas revenir au temps des bons
vieux Barbes préparés à leur office dans le modeste collège
du Pra du Tour. D’autres temps, d’autres mœurs. Dès l’instant
que notre Eglise n’a plus été isolée des autres, nos pasteurs
ont dû être plus ou moins ce que sont les pasteurs des autres
églises. Et puis , avouez-le , vous qui prêchez la simplicité aux
pasteurs, vous ne voudriez pas vous-mêmes d’un pasteur
paysan ; le grossier manteau de bure vous choquerait ; et
malgré le dicton vulgaire ; « l’habit ne fait pas le moine »,
vous verriez que l’extérieur exercerait sur votre appréciation
morale une influence plus grande que vous ne le pensez. Du
reste, croit-on qu’au temps de jadis, les Barbes tinssent une
position sociale inférieure à celle qu’occupent nos pasteurs
relativement parlant? Quant à moi, je ne le pense pas. Tout
est relatif dans ce bas monde, et le manteau de bure luimême, eu égard au temps et au lieu , pouvait fort bien être
un vêtement signorile.
Les pasteurs pourraient vivre plus économiquement, il n’y
a pas de doute. Si au lieu de se faire apporter le pain de chez
le boulanger, ils allaient acheter le blé sur les marchés pour
se confectionner eux-mêmes le pain dont ils ont besoin ; si au
lieu d’acheter le bois tout prêt à mettre au feu, ils couraient les
campagnes, marchandant ici et là un arbre sur pied pour
l’abattre, le scier et le fendre eux-mêmes; si au lieu d’acheter
du vin, ils louaient une vigne qu’ils cultiveraient eux-mêmes
pour en obtenir la liqueur fortifiante ; si au lieu d’acheter,
en se le faisant porter à domicile, le lait et le beurre, ils louaient encore un pré pour tenir une ou deux vaches qu’ils
soigneraient de leurs mains ; il est évident qu’ils feraient une
économie très-considérable, et qu’avec leur honoraire actuel
ils n’auraient pas lieu de se plaindre. Mais alors où serait le
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temps qu’ils pourraient consacrer à l’œuvre du ministère?
quel temps pourraient-ils donnera la cure d’âmes, à la visite
des malades, à l’étude , à la réflexion, à l’œuvre de la prédication, à l’instruction de la jeunesse ? N’est-ce pas précisément
pour leur éviter une telle absorption de leur temps que nous
qui ne sommes pas pasteurs (je dis nous pareeque j’espère
n’ètre pas seul à penser de la sorte) nous devons réclamer
hautement en leur faveur une augmentation d’honoraire?
Mais une question se présente : d’où devra provenir cette
augmentation? Etablissons d’abord comme restriction qu’une
telle augmentation n’est pas également nécessaire pour tous
les pasteurs. 11 y en a, dit-on, qui ont une certaine habileté
à amener l’eau à leur moulin , et qui dispensent ainsi les
autres du souci de penser à eux. il y en a qui ont hérité de
biens terrestres. 11 y en a enfin qui n’ont pas d’enfants et se
trouvent par là exposés à beaucoup moins de dépenses.
Reconnaissons toutefois que s’il y en a qui soient devenus
habiles à ajouter des cordes subsidiaires à leur arc, ils n’auraient probablement pas acquis cette réputation , si d’autres
s’étaient occupés de leur fournir ce qu’ils ont dii s’industrier
à trouver par eux-raèmes.
Quoiqu’il en soit, la source d’où leur doit venir le secours ,
c’est la générosité chrétienne des membres de leurs propres
troupeaux. 11 est juste que ceux qui ont été nourris du lait
de la Parole de Dieu , fassent part de leurs biens temporels à
ceux qui leur ont communiqué les biens spirituels. Telle est
l’opinion de l’apôtre Paul, le plus désintéressé de tous les
serviteurs de Dieu.
Que les membres du troupeau réfléchissent que Dieu accepte
(c’est encore le langage du même apôtre) comme un don
fait à lui-même, comme une offrande d’odeur suave le sacri-
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fice que l’on s’impose pour l’un de ses serviteurs. Or c’est un
fait d’expérience que jamais le sacrifice fait pour Dieu n’a
appauvri celui qui l’a fait, mais l’a au contraire enrichi. L’affection (¡ue l’on a pour le maître se déverse aussi nécessairement sur ses fidèles serviteurs, et si l’ambassadeur est négligé,
c’cst une injure qui est faite à celui qui l’a envoyé. Or les
[)asteurs font 1a fonction d’ambassadeurs pour Christ. C’est
S‘Paul qui l’a dit.
Le sacrifice fait pour une cause nous attache à cette cause
('n raison de ce qu’elle nous coûte. Dès lors nous nous y intéressons vivement, nous l’aimons, nous y coopérons de tout
notre pouvoir. Ainsi le sacrifice porte déjcà en lui-même son
fruit béni pour celui qui le fait, en attendant la bienheureuse
rémunération.
On me trouvera bien hardi pour la première fois que j’ose
manifester en public ce que je pense ; n’importe : il y a longtemps que ces pensées me trottent par la tète , et il faut bien
une fois qu’elles paraissent au jour.
Dans ma petitesse , je suis très-exigeant à l’égard des
pasteurs. Je sens Là dans ma poitrine de certains avertissements à leur adresse qui y fermentent et cpji sont prêts à
faire explosion. Mais pour exiger beaucoup d’eux, il faut
d’abord les mettre dans la condition d’être inexcusables s’ils
n’accomplissent pas fidèlement leur devoir. A ce propos, et
malgré tous les obstacles, j’ose insister une fois encore sur
l’emploi du moyen que j’ai indiqué pour établir le culte domestique. Je sais qu’il a porté ailleurs de beaux fruits. Si quelques pasteurs ne peuvent arriver à quinze ou vingt familles
chaque année , en est-il un seul qui ne puisse, sans rien
changer à sa condition, arriver au nombre de huit ou dix?
Ce serait toujours un précieux résultat.
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Pour le moment, cher Rédacteur, je prends congé des
lecteurs de votre journal, et de vous-môme , en vous priant
de me croire votre bien dévoué
C. A. E.
MICHEL BlÂNQUl
ou un Bienraitcur digne d'être mieux counn.
L’on entend quelquefois parler à La Tour à'êcoliers des Braïdes,
d'une Bourse des Braïdes. Pour comprendre de quoi il est question , il
faut savoir que le Consistoire de cette paroisse possède sur la rive
droite du Pélice, à l’endroit communément appelé les Braides, un petit
bien-fonds . un pré en particulier, dont le revenu est annuellement
consacré par lui à l'entretien d’un certain nombre d’écoliers pauvres,
qui, sans ce léger secours , seraient peut-être obligés comme tant
d’autres de quitter l’école avant le temps convenable. Ce revenu joint
à quelqu’aiitre rente, s’élève aujourd’hui, si notre mémoire ne nous
fait défaut, â sept ou huit cents francs, selon les années, et il n’y a
pas actuellement moins d’une dixaine de jeunes garçons qui en profitent à des degrés divers. C’est là, sans contredit, pour la population
vauiloise de La Tour un avantage peu commun, et qui pourrait faire
envie à plus d’une autre paroisse de nos Vallées.
A qui sommes-nous redevables de ce privilège ? — A un certain
M” Bianqui, mort il y a longtemps , répondront assez généralement
ceux qui en jouissent ou qui en ont joui. — Mais ce M*' Bianqui d^’où
était-il? qui est-il? Quand et comment a-t-il créé cette fondation si
utile qu’on désigne encore de temps en temps par le nom du donateur?
— C’est à quoi fort peu de gens à la Tour, et personne peut-être
dans le reste des Vallées, seraient en état de faire une réponse
satisfaisante.
Il existe pourtant aux archives du Consistoire un double document
qui nous donne sur cet ami de l’instruction, sinon tous les éclaircissements désirables, du moins quelques détails qui nous ont vive-ment intéressé; nous voulons parler du testament même de Bianqui
et d’une lettre de l’exécuteur testamentaire.
Vers 1759 arrivait à Londres un Vaudois qui certes n’était plus
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jeune, puisque nous trouvons sa naissance et son baptême enregistrés
au 30 mars 1712 II s’appelle Michel Bianqui et se dit lui-même «de
La Tour, vallée de Luserne, province de Pignerol, en Piémont». —
A cette époque il fallait bien du temps et un gousset passablement
garni pour se transporter de La Tour en Angleterre ; comment avait-il
été amené jusque là? — Nous l’ignorons entièrement. — Ce qui est
manifeste , c’est que notre voyageur est loin d’être riche , puisqu’il
cherche à se placer en qualité de simple domestique, et qu'avant la
fin de l’année on le voit effectivement entré au service d’un habitant
do Londres, nommé Thomas Thomas. 11 s’attacha si bien à son maître
et fut tellement agréé de lui, qu’il ne le quitta qu’à la mort et après
avoir passé trente années dans la maison. — Longue carrière assurément pour un domestique, et qui honore également la mémoire du
maître et celle du serviteur. Le salaire n’avait pourtant rien d’inaccoutumé , vu que l’épargne n’a pu atteindre même la moyenne annuelle de cinq cents francs.
Durant ce long intervalle il n’est fait mention d’aucune relation
ni connaissance de Bianqui, à l’exception d’un certain Samuel Roulet
qui avait su lui emprunter la somme de deux mille et deux cents
francs. Du reste on ne sait autre chose du séjour de Bianqui dans
la ville de Londres si ce n’est qu’il habitait la rue dite Suffolk Lane,
Cannon Street, et que s’il fréquentait l’église de la paroisse, c’était
celle de Allhallous, à laquelle appartenait son maître. —■ Ce qu’on peut
deviner c’est que jamais il n’oublia le lieu de sa naissance ni ce qu’il
devait à son pays. Que de fois n’aura-t-il pas reposé ses pensées sur
Castelus et Vandalin, et sur ces chaudes collines qu’ombrage le châtaigner , et sur ce ciel si profond et si bleu ! et qui sait qu’en ces
moments une larme n’ait humecté la joue du vieillard ?
A mesure que les années s’accumulaient sur sa tête déjà blanche,
il sentait diminuer en lui la vieille espérance de revoir un jour ce
pays qui lui était si cher. Au moins s’il pouvait faire quelque chose
pour son église de La Tour qui lui a donné le peu d’instruction
qu’il possède ! — Ce ne serait après tout que justice ! Mais pauvre
vieux domestique , fût-il même capable d’une de ces pensées lumineuses et fécondes qui influent sur le bonheur d’une population ,
d’où aurait-il les moyens de la réaliser ? — S’il avait suffi de faire
des vœux en faveur de son pays, il est bien une chose que Bianqui
lui aurait souhaité de tout son cœur, nous voulons dire une jeunesse
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— 9 —
plus instruite que celle qu’il avait connue. — Dans combien d’occasions, depuis qu'il s’était livré à ses propres ressources, n’avaitil
pas dû regretter de n’èlre pas lui-même un peu plus avancé '? — A.
la vérité, il savait lire et écrire, vu qu’il rédigea de sa propre main
son testament, mais celte rédaction même fournit la preuve que ses
connaissances n’étaient pas fort étendues. C’est que nos écoles
n'étaient point alors ce que les fit plus tard le Général Beckwilli,
qui même ne devait voir le jour, de l’autre côté de l’Océan, que
quelques mois après la mort de Biauqui Les moyens de s’instruire
à La Tour, comme ailleurs dans nos Vallées, se réduisaient naturellement à peu de chose , et le jeune Michel non plus que ses compagnons d’école, n’avait pu apprendre ce qui ne s’enseignait nulle part.
D’ailleurs il arrivait tous les jours qu’avec la meilleure volonté du
monde , plus d’un garçon studieux se voyait dans l’impossibilité de
profiter jusqu’au bout même du peu d’instruction qui se donnait,
obligé qu’il était de courir au plus pressé et de pourvoir de bonne
heure à sa propre subsistance. Et qui peut dire que tel n’eût pas été
le cas de Michel Bianqui? — Evidemment il y avait lâ une bonne
œuvre â faire , une œuvre de nature à produire les plus beaux résultats. — Mais encore une fois, comment l’humble domestique de
Suffolk Lane pouvait-il seulement penser à l’entreprendre ?
Une idée cependant lui avait á plus d’une reprise traversé l’esprit.
N’ayant plus apparemment ni parents ni famille qui eussent besoin
de lui, étant pour ce qui le concernait personnellement, sans grande
inquiétude sur le reste de ses jours, il avait songé au meilleur usage
qu’il pourrait faire de sa petite fortune : si en y consacrant ses
épargnés de trente années , il pouvait fonder au profit des jeunes
Vaudois pauvres de la commune dont il est originaire, cinq ou six
petites bourses d’une centaine de francs chacune, ou même de moins
encore.... Les difficiles diront que c’est peu de chose ; mais on est
agréable á Dieu selon ce qu’on a; et d’ailleurs, à la vue de ce petit
commencement, d’autres feront mieux ou davantage. Nous ignorons
si l’honnête Michel caressa longtemps ce projet : ce qui est hors de
doute , c’est qu’il le trouva bon , et qu’il ne le laissa plus jamais
tomber.
Depuis vingt-huit ans Bianqui était dans la maison Thomas , lorsqu’un jour à l'approche des fêtes de Noël, c’était le 15 décembre
1787 , le brave vieux domestique, parvenu à l’âge où l’homme prudent
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compte par semaines , plutôt que par années le temps qui peut lui
rester à vivre, résolut de mettre par écrit et sous la forme la plus
solennelle, l’expression de sa dernière volonté — « Au nom de Dieu ,
dit-il, moi soussigné Michel Bianqui de La Tour, vallée de Luserne,
province de Pignerol en Piémont... je fais mon testament.. • Quant à
son argent et tous autres effets en sa possession à l’époque de son
décès, il «les donne et lègue à Messieurs les Anciens et Ministres de
La Tour, vallée de Luserne »; et pour ce qui regarde la destination
de ce legs, le testateur veut que le revenu en soit employé à payer
l’entretien à l’école pendant deux ans de six pauvres garçons protestants de La Tour. — Le temps des six premiers élèves écoulé, six
autres élèves seront choisis pour leur succéder, et cela chaque deux
ans et pour toujours. Toujours aussi les boursiers « seront nommés
par les dits Anciens et Ministres ». — Enfin , après avoir ■< pris la
liberté » comme il dit, de nommer M'' Thomas Thomas pour son seul
exécuteur testamentaire, le vénérable vieillard clôt son acte par la
date et sa propre signature.
Tel est en substance, le document fort-court et peu correct, si l’on
veut, mais parfaitement clair qui instituait le Consistoire de La Tour
héritier de la modique fortune de Michel Bianqui. — Deux années
s’étaient à peine écoulées, lorsqu’en janvier 1789, le généreux Michel,
âgé de 77 ans, mourait sinon d’une manière tout à fait subite , du
moins après une fort courte maladie , et dans la maison même où
il avait servi si longtemps. — A notre grand regret nous n’avons pas
l’ombre d’une donnée sur sa vie religieuse, et nous ne saurions même
pas dire que^ sentiments l’animèrent à sa dernière maladie. Le seul
que nous puissions ajouter encore ici , c’est que la sépulture, qui
doit avoir eu lieu le dernier jour de janvier , se fit avec la plus
grande simplicité et à aussi peu dè frais que possible, ainsi qu’il en
avait lui-même exprimé le désir dans son testament.
L’exécuteur testamentaire eut soin, paraît-il , d’informer aussitôt le
Consistoire intéressé , qui de son côté ne manqua pas de réclamer son
héritage. — Les formalités necessaires étant remplies , on fit^sur
M' Thomas une traite de quelques centaines delivres, et le 16 octobre
de la même année, le maître du testateur, après avoir réalisé tout
ce dont il put faire quelque argent, annonçait dans sa dernière lettre
un second envoi de 48 livres à peu-près, ce qui portait l’héritage
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— Il —
entier à la somme très-respectable de 548 livres sterling environ ,
équivalant á treize mille et sept cents francs de notre monnaie.
Il faut savoir gré au Consistoire de La Tour d’avoir eu la bonne
pensée de convertir le montant de ce legs en un immeuble tel que
le pré des Braïdes, car c’est probablement à cette mesure que nos
enfants doivent de pouvoir, après tant de bouleversements politiques,
jouir encore aujourd’hui de leur précieux bénéfice Bianqui , ainsi
qu’on aime à l’appeler quelque fois. Un autre placement aurait peut-être
donné une rente plus considérable, mais tel que nous l’avons depuis
trois quarts de siècle, ce subside aura déjà, si nous calculons juste,
profilé à deux cent vingt deux écoliers pauvres, et tout nous porte à
croire qu’il sera désormais beaucoup plus profitable encore qu’il ne
l’a été par le passé. Tant il est vrai que pour faire à son pays
(juelque bien, il n’est besoin d’être ni un grand personnage ni un
millionnaire. Un humble domestique né au pied de Yandalin , avec
un cœur reconnaissant et généreux , c’est tout ce qu’il a fallu pour
fonder la Bourse des Braïdes. — Quand aurons-nous la surprise d’entendre parler d’un autre Vaudois , riche ou non, qui ait su imiter
Michel Bianqui, l’honnête vieux serviteur?
L© lü-iosque l>il>liquo.
Malgré la vie retirée d’une partie de nos lecteurs il n’en est aucun
sans doute qui n’aient peu ou prou entendu parler de l’Exposition
Vniverselle restée ouverte à Paris durant l’été de 1867. Ce qu’ils ne
savent peut-être pas tous c’est que plus qu’à aucune des grandes
Expositions précédentes la Bible et les œuvres qui s’y rattachent ont
été admises à y figurer d’une façon distinguée.
Groupées dans un des quatre parcs qui entouraient l’immense
palais de l’Exposition, les diverses œuvres bibliques produisaient sur
les visiteurs éblouis par les prodiges de l’industrie humaine la plus
salutaire diversion, non seulement en élevant les esprits jusqu’à
Celui « qui a mis la science au cœur des homnaes et les a remplis
d’industrie pour faire toute sorte d’ouvrages exquis • ( Exode xxxi ,
XXXV ), mais encore en attirant un instant l’attention sur la Parole de
Dieu et sur l’œuvre bien autrement importante qu’il accomplit dans
le monde spirituel. Il est superflu de dire que c’est l’Angleterre qui
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a fait cette place d’honneur aux œuvres hibliques dans le quart de
jardin qui lui était assigné.
Là s’élevaient non loin les uns des autres , outre la Salle évangélique, consacrée au culte et à la prédication en toute langue, divers
kiosques ou pavillons destinés à faire connaître , celui-ci l’œuvre des
Missions, celui-là les Ecoles du dimanche , un autre la publication des
Traités religieux, un quatrième les Publications populaires, un cinquième
enfin Les Saintes Ecritures.
Ne pouvant parler de tout, nous nous bornerons au Kiosque biblique.
Elevé par les soins réunis de deux ou trois Sociétés ( la Société biblique britannique et étrangère , la Société biblique de France et la
Société dite le Bible Stand ), cet élégant édifice à huit faces lilas clair
avec festons rouges et bleus , au dôme surmonté d’un drapeau dans
les plis duquel se lisaient ces mots : La Parole de Dieu, attirait doucement les regards distraits de la foule des visiteurs qui arrivaient
par la grande avenue. Entre les huit colonnettes qui soutenaient
l’avanl-toit et au dessus de chaque fenêtre, on voyait écrit ce passage : rrois au Seigneur Jésus, et tu seras sauvé, puis ces paroles solennelles Le voici qui vient sur les nuées , et tout œil le verra, même ceux
qui l’ont percé le verront.
C’est dans ce modeste pavillon que la Société britannique et étrangère a exposé la Bible traduite en 174 langues ou dialectes différents ;
c’est à chacune de ccs huit fenêtres que le visiteur pouvait venir
recevoir gratuitement de la main du missionnaire un livre de la Bible,
le plus souvent un Evangile, et entendre dans sa propre langue
aussi quelques paroles tout ensemble- amicales et sérieuses. Ainsi
dans ce seul kiosque et pendant tout le temps qu’a duré l’Exposition,
la Parole de Dieu a été donnée à des foules sans nombre par douze
ouvriers du Seigneur et en quinze langues différentes ; si bien que
français, anglais, allemands, espagnols, italiens, russes, turcs, arabes
et d’autres encore, ont pu entendre « proclamer chacun dans sa
propre langue, » les choses magnifiques de Dieu. — Ce n’était pas
la première fois que le Bible Stand faisait distribuer gratuitement des
portions séparées d.e la Bible. — Fondée en 1862 par M'' William
Hawke de Londres et quelqu’un de ses amis , cette Société avait
pendant la seule Exposition de Londres i862i, répandu trois millions
de petits volumes , et à la fin de 1866 le nombre total de ses dis-
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tribiitioiis ne s’élevait pas à moins de quatre millions. — On va voir
ce qui en fut débité à l’Exposition de Paris.
Tout cela ne pouvait se faire sans provoquer le sourire de quantité de gens qui ne voient de réalité que dans le monde matériel
ut visible. 11 n’a pourtant pas manqué de personnes qu’un tel
souci des âmes et de l’honneur de Dieu a favorablement impressionnées. Voici, par exemple, ce qu’en disait L’italie du 15 novembre
dernier ; « La Société biblique protestante, qui avait installé un
kiosque de livres pieux à l’Exposition universelle , a fait le compte
de ses distributions gratuites. Il s’élève au chiffre énorme de 11
millions d’exemplaires séparés des Evangiles. Ce chilfre coïncide avec
celui des entrées à l’Exposition. Il paraît que le plus fervent promoteur de cette diffusion des Livres saints est un Anglais qui avait
pris un nombre considérable d’actions dans l’entreprise du câble
atlantique.
Le premier échec du câble réluisil presqu’à néant le placement;
mais l’anglais opiniâtre remit de nouveaux fonds sur le second câble ;
et c’est la magnifique part du dividende qu’il touche , — près de
cent mille francs , — qu’il consacre eu apport à la propagation des
Ecrits sacrés ». Ainsi parle L’Italie. — Un autre journal , catholique
aussi {La France), qui venait probablement de lire les profanes moqueries d’nne feuille cléricale, lui répond en ces termes, qui font
à eux seuls le plus bel éloge du pavillon biblique : « Quelques voltaiiïens rient et repoussent le livre qu’on leur présente. Je ne ris
pas au contraire... Dans le temple du travail matériel il est bon de
songer à Dieu , créateur de l’âme immortelle ; et quand on passe ,
une Bible à la main , au milieu des merveilles de l’industrie, l’esprit
s’élève reconnaissant vers Celui de qui émanent toutes les grandeurs
de l’humanité». — A quoi nous ajoutons la persuasion où nous
sommes que des millions de visiteurs qui ont reçu leur petit volume,
un grand nombre seront par lui amenés jusqu’à Celui qui peut les
sauver pour toujours.
Pierre Baret. D’un côté, on l’a remarqué dans le dernier numéro
de l’Echo , les rangs des ouvriers qui combattent les saintes batailles
de l’Evangile , au nom de notre Eglise , vont s’éclaircissant tous les
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U —
jours ; de l’autre , oh comme il est vrai aussi que ces rangs ont
grande peine à se former! Deux ans passés nous pleurions le départ
précoce d’un jeune étudiant plein d’espérances ; la première semaine
de cette année nous convie à un nouveau deuil. Le 2 janvier, â l’âge
de 28 ans , s’éteignait à l’Asile évangélique de Nice Pierre Joseph
Baret sous les étreintes d'une toux pulmonaire qui l’avait travaillé
sans trêve ces deux dernières années, et deux fois l’avait obligé de
suspendre le cours de ses éludes théologiques.
11 n’élait pourtant point à présumer qu’une telle maladie viendrait
nous l’enlever, jamais aucun des membres de^sa famille n’en ayant
été atteint. Aussi, d'accord avec son père , un des hommes les plus
estimés et les plus pieux de la paroisse du Pomaret, ceux qui ont
connu Baret jeune écolier, l’ont à l’envi encouragé à aller en avant,
tant à cause de son aptitude aux exercices de l’esprit, qu’à cause de
la forte santé dont il jouissait. Pendant son séjour à Florence, ses
professeurs qui le voyaient souvent malade, n'ont cependant pas un
moment perdu courage , dans l’espoir qu’il parviendrait à sortir de
ce moment critique , et qu’une fois au travail de sa vocation il recouvrerait des forces un moment ébranlées.
Il n’a pas plû au Seigneur de le laisser arriver à ce moment si
doux à son cœur, et dont il ne parlait qu’avec des transport de joie.
Quand, obligé de renvoyer ses grands examens, pour revenir se retremper dans l’air du pays natal, il dut vivre au milieu des habitants
de son village , et examiner leur vie ordinaire á la lumière de la
Sainte Parole dont il était pénétré, son cœur se brisait de ne plus
trouver en lui aucune des forces du corps nécessaires pour leur
rompre le pain de l’Evangile, cp qui eût été pour lui la récompense
des travaux auquels il s’était livré. Il passait des journées entières â
l’ombre d’un poirier, voisin de sa demeure , debout ou assis sur le
gazon, priant mentalement, ou chantant des cantiques, quand la
toux lui laissait un moment de répit. Parfois dans l’école du hameau,
devant ses voisins, il essayait d’expliquer un verset de la Bible, mais
soudain, saisi par une timidité qui était le fruit de sa maladie, « pas
mal affecté , selon soa e^tpression , dàné ses îaibuîtés iB*tèîlectuelles ,
privé de la fraîcheur d’esprit et de méditation communes à ceux de
son âge », il perdait le fil de ses idées 'et était obligé de s’interrompre, le cœur bien gros.
Il sentait la nécessité de tels services, simples et familiers, pour les
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habitants de nos villages. « Est-oe ignorance ? Est-ce misère ? Sont-ce
les cultes rares ? Est-ce une autre cause encore ? Le Liit est, écrivait-il
naguère à nn ami, que nos gens sont bien matériels, bien insouciants
sur la vie à venir, sur le salut de leur âme immortelle; à la réserve
de quelques uns , ils sont travaillés par une incrédulité , sinon de
théorie, du moins latente, réelle et pratique. Ah! l’œuvre à faire est
immense! Mais Dieu qui se sert d’instruments humains, bénit le
moindre effort. Voyez les missionnaires , n’ont-ils pas fait avec des
pierres des enfants à Abraham? On l’a dit, nos chaires sont trop
hautes : on voudrait voir les pasteurs plus près ; c’est dans les conversations familières qu’on découvre les plaies de son âme. Moi je ne
puis plus que prier Dieu pour ceux qui travaillent, et cela sans
même lever les mains en haut».
Baret avait raison : la prière était en effet le seul moyen d’action
qui lui restât. Le mal celte fois , au lieu de perdre de son intensité
sous le toit paternel, le dominait toujours plus. La mort de son père
et bientôt celle de sa mère, arrivée à 4 jours de distance seulement,
fut pour notre ami , déjà si faible et si abattu , un coup terrible. 11
fallut devant les progrès alarmants du mal, chercher un air plus
doux que l’air natal. Un fidèle ami, qui ne l’avait jamais perdu de
vue, lui ouvrit les portes de l'Asile de Nice , et l’engagea à accepter
cette place sous le charitable prétexte qu’il irait , à peine remis ,
diriger un culte à Bordighera , petite ville non loin de Nice. • Mon
séjour à Bordighera, où je me suis rendu aussitôt que je me suis
senti mieux, écrivait-il, est employé à une prédication chaque 15
jours devant un très-petit auditoire d’une dizaine de personnes.
C’est un pays si ignorant et si rustique que j’y trouve à peine les
choses de première nécessité. Je me sens faible et beaucoup plus
souffrant •.
L’air de Nice ne rendit pas la santé à une constitution déjà tellement éprouvée; mais les soins empressés dont il fut l’objet à l’Asile
adoucirent ses souffrances ; il y connut la charité chrétienne , cette
fleur du christianisme , comme il l’appelle. Les visites et les prédications de M' Pilatte firent pénétrer plus avant dans son cœur les
consolations de la foi. Voici en quels termes il décrit lui-même
l’état de son' âme quelques jours seulement avant son départ ; « J’ai
tout perdu ; néanmoins n’allez pas croire que je sois aux abois. La
paix règne tout au fond de mon cœur : non une paix illusoire, mais
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celle qui vient de la foi en l’amour de mon bien-aimé Sauveur. Je
connais tout le prix de cette paix, et je ne la donnerais pas pour
cent vies ».
Ainsi la mort , qui longtemps avait effrayé notre ami, a fini par
être pour lui une double délivrance ; mais l’Eglise perd en lui un
ouvrier dont la piété sincère et les connaissances étendues promettaient une activité pleine de fruits abondants et savoureui.
Le manque seul d’espace nous empêche de profiter d’autres détails
bien intéressants fournis par VEco della Verità du 18 janvier; notre
première pensée était mèrrie de les transcrire, lorsque nous avons
reçu d’un ami les lignes qui précèdent. Qu’il veuille agréer nos
remerciements.
OLAIVUFtES.
l-e Jeune vtellinrd. J’ai quatre-vingt ans . disait un vieillard à
quelques amis : et moi , dit un antre octogénaire qui était là , moi
j’en ai trois. — 11 comptait ses années à dater du jour de sa nouvelle naissance { Jkan, 111).
t.n terre de» vivant». Eli ! vous voilà encore sur la terre des
vivants, dit un jour un bon vieu.x à un ami qq’il venait de rencontrer
à sa grande joie , et était encore plus âgé qbe lui. — Non, lui répondit celui-ci avec un doux sourire, mais je m’en vais y aller.
Pensée». — Platon disait qu’on voyait bien l’argent entrer à Sparte ,
mais qu’on ne l’en voyait pas sortir. — Que de Spartiates il nous
est resté dans le inonde !
— L’insouciance religieuse est comme un vaste mer morte où aucun
être ne vit, un immense désert stérile où aucun germe ne pousse.
C’est le mal moral , sinon le plus choquant, du moins le plus grave
de notre temps. — Guizot.
Pignerol , J. Chiantobb Iinpr.
H. Jahier Gérant.
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