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fcutlie IHcneuclle
S P éa U E V B ÏÏ COmCRÉB i ü \ IÏÏÉÎIÊTS DB L4 f a m il l e VAllDOISE
« Ilh dion qu'es la u d e s... »
» Ils disent qu’il est Vaudois «
NOBLA LEYCZON.
S ommaire. Histoire vaudoise: De la part prise par Josué J anavel à
la Glorieuse rentrée (suite). — Questions locales: Ce que nous
avons et ce qui nous manque comme Eglise (3 “ ' article). —
Liberté des cultes: Lne séance du Parlement piémontais. — Questions
d’hntm m ti-i Lo wwgrèa- d» 1» paix ojaiverselle. — V ariüéii Le&
funérailles de Charles A lbert. — Nouvelles religieuses.
H I S T O I R E V A E D O IS E
O * I m p a rt p rise à la f O o f i e s M e r e n t r é e
par
J o s u é J A IH A V E E .
(suite).
Les Vaudois expulsés du Piémont étaient arrivés à Genève, de
9*’” 1686. à février 1687. Deux mois après Janavel est déjà signalé
comme organisant un projet de rentrée. De Zurich et de Berne
ou l’on avait envoyé une partie des exilés, on écrit, à la
foisi, aux membres du Conseil d’État de Genève, qu’un
nommé Janavel, résidant en leur ville, entretient correspon
dance avec ses compatriotes épars, pour fomenter la perni
cieuse et chimérique espérance de les réunir encore dans
leur patrie ('Ij,. .Sur ces dénonciations, le'Conseil ordonne à
f »
(1) Régistres du Conteil, séance dn 3t mai et dn H juin id87|
é
•
. . . . .
2
—
G6 —
Janavel de sortir de la ville ( i) ; toutefois, eu égard à ses
infirmités et à son grand âge, on l'autorise à y continuer sa
résidence, à condition qu’il s’abstiendra de toute intervention
du genre de celle qui lui est reprochée. Mais le héros de
Rora préfère la conservation de son peuple à son propre
repos : bientôt le bruit court qu’il amasse des armes dans sa
demeure ; on lui enjoint alors de p a rtir, sous peine de
cent écus d’amende et d’un mois de prison; la même puni
tion est prononcée contre les citoyens de Genève qui lui
donneraient asile, et l’on ordonne une perquisition dans son
domicile (2). Janavel demande un jour de répit, s’engageant
à partir le lendemain pour la Suisse (5), et là , d it-il, « je
me tiendrai coi et caché ».
ÎNéanmoins une expédition se préparait. En juin 1688 les
Vaudois cherchèrent à rentrer dans leur patrie par le pont
de St Maurice (Valíais) , et la preuve que Janavel ne fut
point étranger à cette tentative, c’est que voici les instructions
qu’il avait données, sur ce sujet, à ses compatriotes :
« Le Seigneur ne permettant pas, à cause de mon infirmité
que'je vous puisse suivre, à mon grand regret, j’ai cru ne de
voir rien négliger pour le bien de ma pauvre patrie; c’est pour
quoi j'ai fait mettre mes seutimenls par écrit touchant la conduite
que vous devez tenir tant dans les chemins que dans les attaques
et combats, si le Seigneur vous fait la grâce de vous porter
dans vos montagnes, comme telle est mon espérance, priant Dieu
de tout mon cœur qu’il fasse réussir tout à sa gloire et pour le
rétablissement de son Eglise. — Je vous prie donc de prendre
en bonne part le contenu de la présente. —
« Si notre Eglise a été réduite en aussi grande extrémité, nos
péchés en sont la véritable cause; il faut donc s’humilier tous
les jours, de plus en plus, devant Dieu et lui demander pardon de
bon cœur. . . . recourant toujours à Lui ; et quand il vous arri
vera quelques inconvénients, prenez patience, redoublez de courage,
de telle manière qu’*7 n’y ait rien de plus ferme que votre foi (it).
Ainsi, ne doutez pas que Dieu ne vous conserve et ne fasse réussir
vos desseins à sa gloire et à l’avancement dn règne de Jésus-Christ.
Viennent ensuite les conseils de la tactique et de l’expé
rience , sur la conduite à tenir dans cette entreprise ; mais
'l !
(i) Régistres du Conseil, séance du 11 juin 168'7.
(a) Régistres du Conseil, séance du 1« juillet 1687.
(.3) Genève ayant formé précédemment une république indépendante, ne se
considérait pas encore et se considère à peine aujourd’h u i, dans le langage
de ses habitants, comme faisant partie de la Suisse,
(4) C'est nous qui soulignons ici et ailleurs.
(Réd).
3
- G7 —
o«s inslructrons furent inutiles, celte tentative qui était pourtant
déjà la deuxième (la première avait eu lieu près de Lausanne),
ayant échoué. C’est alors qu’on put voir, dit Mr M. , que
nous ne faisons guère que transcrire dans tout cet article,
combien la confiance inébranlable du chrétien mettait le patriote
au-dessus du découragement. Celui qui ne s’attend qu’à ses
propres forces peut être découragé quand il les voit impuis
santes ; celui qui s’appuie sur la main de Dieu compte sur
un plus puissant que soi :
El peut même espérer contre toute espérance.
Tel était le cas de Janavel et des Vaudois. Leur entre
prise paraissait la plus inconcevable des folies ; et les jour
naux du temps (1) n’eurent d abord pas assez de dédain ,
plus tard pas assez d’admiration, pour un projet si au-dessus
des forces et des prévisions humaines.
Voici maintenant les instructions détaillées par lesquelles
Janavel avait tracé d’avance aux Vaudois , avec une sagacité
et une justesse de prévision extraordinaires, les phases diverses
de leur expédition :
« Dès que vous serez sur les terres de l’ennem i, vous saisirez
trois ou quatre hommes de l’endroit, où que vous les trouviez;
ensuite vous les ferez marcher avec vous de lieu en lieu , aussi
amicalement que faire se pourra , et lorsque vous arriverez en
quelque part où il y ait danger d’alarmes, vous enverrez un
de ces hommes, que vous tiendrez au-devant, avec un des vôtres,
pour avertir les paysans qu’ils ne se mettent en peine de rien,
que vous ne leur ferez aucun mal ni dommage, pourvu qu’ils
vous laissent passer. . .
Et si vous avez besoin de quelque chose,
vous le leur payerez à leur consentement. — Vous vous comporterez
aussi sagement que possible à cause des voisins qui sont les Sei
gneurs suisses qui doivent vous être chers. — De plus, pour la
conduite de la guerre, moyennant que Dieu vous fasse la grâce
d’aller où vous désirez,. . . . premièrement il faut tous tant que
vous êtes, mettre les genoux en terre, lever les yeux et les mains au
C iel, le cœur et l’âme au Seigneur par d’ardentes prières, afin
qu’ i l vous donne son Esprit et vous fasse nommer les plus capables
d’entre vous pour conduire les autres ».
Ici se placent des indications très-précises sur l’ordre à suivre,
la marche à tenir , les compagnies à former , le conseil de
guerre permanent à établir e tc ., sur tout, en un mot, ce qui se
trouve mis en action dans la rentrée des Vaudois par H. A rnaud.
(1) Courrier des Cours, Gazette de Leyde, Mercure historique etc.
4
—
68
—
« Le soir étant venu, dit-il, vous vous assemblerez tous pour
adresser votre prière à Dieu ; vous poserez force sentinelles, met
tant les plus peureux de vos soldats le soir et pendant la n u it,
e t , approchant le jour , les plus courageux et les plus experts.
— Quand vous verrez venir l’ennemi, vous le laisserez s’approcher
autant que faire se pourra ; tirez d’abord aux officiers, ne faites
aucune décharge mal à propos, et soyez prompts à recharger
vos armes, tâchant d’avoir des balles qui aillent juste au calibre
du fusil, afin de tirer plus droit. — Lorsque vous poursuivrez
ou chercherez l’ennemi, mettez en campagne des soldats pour
battre les flancs de la troupe, mais que la pointe n’avance jamais
que par l’avis du flanc ; ainsi faisant vous vous conserverez les
uns les autres et en même temps l’Eglise du Seigneur, pourvu
que vous soyez fidèles chrétiens. — Vous prendrez bien garde,
en toute rencontre, d’épargner le sang innocent ou inutile, afin
de n’avoir pas à en répondre devant Dieu ; et surtout de ne
jamais vous laisser saisir par la peur ou par la colère ; alors
l’épée du Seigneur sera avec vous, de même que sa grâce, et
celui qui espère auDieu vivant jamais ne périra. — Quiconque
passera à l’ennemi,à moins qu’il n’ait été fait prisonnier les
armes à
la main, sera puni de mort. Il aura la faculté de
choisir etd'indiquer les personnes
par lesquelles il devra être
fusillé. — 11 y aura peine de mort contre quiconque s’arrêtera
sur le champ de bataille à dépouiller les ennemis, avant que le
capitaine l’ait commandé. — Après le premier combat , il est
convenable que vos officiers changent d’habit et prennent ceux
des plus mal-vêtus de leur compagnie. Sur les lieux enfin, il
est nécessaire de ne faire aucun quartier aux prisonniers.
Après ces direclions le vieillard ajoute ;
if Vous ne vous fierez ni aux lettres ni aux paroles de vos
ennemis; et lorsqu’ils voudront vous parler, c’e s ta lo rs qu’il
vous faudra le plus vous tenir sur vos gardes. — Lorsque vous
attaquerez il vous faut avoir des embuscades de flanc, et après
que la pointe aura donné , vous replier , afin que l’ennemi vous
poursuive ; qviand il sera engagé dans les embuscades , faire
volte-face et ainsi vous ferez beaucoup de morts et de blessés,
car tels sont les fruits de la guerre, — Epargnez les familles con
verties (catholisées) y car autrement. Dieu en serait offensé. — Si
Dieu vous fait la grâce d’arriver en vos montagnes comme je
l’espère, il vous faut d’abord savoir où sera votre retraite. Si
vous êtes seulement six ou sept cents hommes, il vous faut at
taquer en même temps la vallée de Luserne et celle de St Martin;
mais premièrement vous bien fixer une retraite qui sera, dans
la vallée de St Martin, la Balciglia ; et dans celle de Luserne,
Balmadaut, VAiguille et la comhe de Giamsarand où à été la plus
ancienne retraite de nos pères. — Vous tiendrez toujours des
sentinelles sur le haut des montagnes, afin de n’êlre pas surpris
5
—
Ü9 —
du côté de P ragela, et de maintenir les passages libres d’une
vallée à l’autre. Sur le col Julien vous placerez un poste qui
sera composé de gens pris, la moitié d’une vallée, la moitié de
l ’autre. — Quant à vous autres de la Bulci(slia, continue-t-il,
vous êtes tous gens de travail et de force , n’épargnez donc pas
vos peines à bien fortifier ce poste qui sera votre retraite la plus
solide. - - En cas que vous soyez attaqués par une grande quan
tité de troupes, il faut se retirer tous ensemble dans les postes
les plus avantageux, comme Bulmaclaut, la Sarcena, la combe de
Giaussanmd et l’.^igfUîl/e ; mais ne quittez jamais la BuldçjJia qu’à
la dernière extrémité. Ils ne manqueront pas de vous dire que
vous n’y pouvez tenir toujours , et que plutôt que d’en venir à bout,
toute la France et l’Italie se tourneront là contre ; mais dites que
vous ne craignez rien, ne craignant pas la mort, et que, si le monde
tout entier était contre vous, et vous seuls contre tout le monde,
vous ne craignez que le Tout-Puissant qui est votre sauvegarde.
( la fin prochainement).
9IJESTI01VS liO C A I iE S
Ce qu e n o u s avo n s et ee q u i n o u s m a n q u e
com m e É g lise ( I ) .
(3™* article)
L a confession de foi. Quel bien immense, disions-nous, à
ce propos, n’est-ce p a s, que l ’existence au sein de notre
Église d’une confession de foi parfaitement orthodoxe, par
faitement biblique , grâce à laquelle nous pouvons toujours
répondre à ceux qui nous calomnient ou nous demandent
raison de notre foi : voilà ce que nous croyons ; voilà ce
que nous trouvons dans la Bible ; voilà les vérités par les
quelles notre Église subsiste, et qu’avec l ’aide de Dieu elle
veut s’appliquer à faire triompher.
Mais pour que ce bien soit réel, pour qu'il soit efficace, pour
que nous ne restions pas à beaucoup d’égards dans la fiction,
en une chose où la fiction n’a rien à faire, il faut que
cette confession de foi de l’Église comme corps, puisse se
dire aussi celle de ses membres pris un à un ; que les vé
rités qui font le caractère distinctif de notre Église , que celles
surtout à la connaissance desquelles le salut est attaché,
(I) Voir N'o 2 page 20 et N™ 3 page 36.
6
70
soient par chacun de ceux qui la composent, non seulement con
nues mais crues , et que chacun d’eux, y étant appelé, puisse en
faire une profession aussi claire et explicite que franche et cordiale.
Or est-ce là ce que nous voyons se passer au milieu de
nous? La Confession de Foi n’y est-elle pas devenue l’affaire
uniquement des pasteurs obligés , lors de leur consécration,
de s’engager, par serment, à ne prêcher que conformément
aux doctrines qui y sont exprimées? Les Anciens eux-mêmes,
malgré la grande part qu’ils ont dans la direction de nos
affaires ecclésiastiquos , sont-ils seulement obligés de la con
naître , et en trouvera-t-on vingt, sur cent-vingt au moins
qu'on en compte , qui aient fait de ce symbole de notre Église
l ’objet d’une méditation un peu approfondie ? Je ne parle
pas du simple peuple, on comprend sans peine que la pro
portion doive être beaucoup moindre encore. — Aussi, que
résultc-l-il de là? — Ce que nous voyons, ce que nous
sommes obligés tous les jours de constater : un grand vague, une
grande ignorance, une déplorable confusion quanta la doctrine.
Ah ! s’il ne s’agissait dans tout ceci que de l ’absence
à'idées Ihéoloyiques, Je m’en consolerais facilement. Que les
Théologiens s’occupent de Théologie, c ’est bien assez ; le
spectacle d’un peuple théologien m'a toujours inspiré une
trop profonde répugnance , pour que ce ne soit pas moi à
coup sûr, qui ferai rien pour chercher à me le procurer.-Mais c’est
qu’il s’agit ici de bien autre chose que de Théologie et de
disputes théologiques; il s’agit de croyances, il s’agit de foi;
de croyances et de foi sans lesquelles le Christianisme n’est
plus le Christianisme et l’Église n’est plus l’Église, Tun et
l’autre étant dépouillés de ce qui les constitue.
On dira que l ’essentiel c’est la v ie ,et que pourvu qu’elle
se trouve au sein d’une Église, il ne faut pas s’inquiéter du
plus ou du moins de précision dans les formules. — Et moi
aussi je dis cela. Mais je dis en même temps : comment la
vie existerait-elle sans la connaissance des vérités qui la pro
duisent? — En thèse générale cela ne peut pas être. — Je
conviens bien d’une chose , c ’est que la vie ne marche pas
toujours de front avec la connaissance, et qu’il ne manque
pas de cas où, la doctrine étant acceptée, le cœur et la vie
sont cependant restés les mêmes. « L ’a rb re , comme on Va
dit excellem m ent, peut ne pas donner son fruit ». J’admets
de plus, qu’il n’est pas rare de voir au début de la vie
7
—
71 —
ch rétien n e, la vie dépasser de beaucoup la connaissance ; et
n ’eussions nous de ce fait d’autre preuve que celle que nous
lisons dans les Évangiles : S . M atthieu IX , 2 0 ; S . M arc V , 2 5 ;
S . Luc. V III, U3 : cela seul suffirait pour le mettre hors de
doute. Mais en quoi ces deux faits détruisent-ils ou affai
blissent-ils seulement la thèse que j ’ai entrepris de soutenir?
La vie peut ne pas suivre la connaissance de la d o ctrin e,
so it! mais à coup s û r, l ’indifférence pour la doctrine sera
toujours une preuve évidente de l ’indifférence quant îi la vie.
La vie peut exister sans une vue très-claire de la doctrine;
à la bonne heure ! mais bien certainement il ne pourra se
faire que, des vérités étant vivantes dans un c œ u r, elles ne
trouvent bientôt le moyen de s’exprimer aussi à l’intelligence.
Ce sera toujours une exception, que celui qui a véritable
ment une f o i, ne soit pas tôt ou tard en état de l ’exprim er,
ou si l ’on aime m ieux de la raconter.
Il vaut donc la peine qu ’on y réfléchisse et qu ’on y ré
fléchisse sérieusement : la lacune que je viens de signaler ,
n ’est pas de celles qu ’on puisse appeler insignifiantes ou d’une
importance secondaire. Elle est au contraire, selon m o i, de
la plus haute importance. Tant que nous consentirons à avoir
une Confession de Foi qui ne sera telle que pour l ’Église
prise en masse , et qu’à l ’ombre de cette confession , les in
dividus croiront ce qu’ils c ro iro n t, ou ne croiront pas du
tout ; tant qu ’on pourra devenir membre de la T a b le , an
cien, électeur, député au Synode, c ’est-à-dire, exercer au sein de
l ’Eglise les fonctions les plus importantes, uniquement parcequ’on a été baptisé, reçu à la Sainte-Cène et qu ’on a con
tinué dès lors d’y participer régulièrement (car n ’est-ce pas
à ces faibles garanties que , par l’usage , nous nous sommes
insensiblement r é d u its ? ); tant que la qualité de membre de
l ’Église ne reposera pas sur une profession individuelle des
vérités fondamentales sur lesquelles cette Eglise repose, notre
organisation péchera par sa base ; il y aura danger de l’ap
pliquer dans toutes ses parties, et nous aurons toujours en
nous le germe d’une grande faiblesse et d’une irrémédiable
impuissance. On ne défend avec cou rage, on ne propage
avec ardeur et au prix de sacrifices qui com p ten t, que des
convictions fortem ent, réellement em brassées; et ce q u i-est
plus certain en core, on ne se sauve qiie par de telles con
victions.
' IM I;.
■b:. (la suite proehainement).
8
— 72 —
l i l B E K 'l 'é U E S C V E T E S
Ene séance «lu Parlement piémontais
La séance extraordinaire de la Chambre des députés, du
27 septembre dernier, a été vraiment extraordinaire, par la
nature des questions qui s’y sont débattues. Il s’agissait de
la liberté religieuse, et c’était probablement la première fois,
qu’au sein d’un conseil délibérant piémontais, pareille question
était traitée. L’incident qui donna lieu à ce débat fut une
pétition de la comtesse d ’Eycbstein , pieuse dame allemande
domiciliée à Nice , réclamant contre la condition mise par
le Ministère à l’ouverture d’un culte protestant dans celle
ville, de ne permettre l’entrée du local, durant la fonction,
à aucun catholique romain, à l’exception de ceux qui y se
raient délégués par l’autorité; condition, disait la pétition
naire , absurde et inexécutable, étant impossible que, dans
une ville aussi fréquentée que N ice, on s’assure qu’aucun
catholique ne franchira le seuil de l’église protestante , et les
croyances religieuses des protestants ne leur permettant pas
de se faire les exécuteurs d’une pareille mesure. La Com
mission , considérant qu’une semblable condition serait une
limitation apportée à la liberté de conscience et rendrait inu
tile la permission obtenue, proposait le renvoi de la pétition
aux Ministres de l’Intérieur et de Grâce et Justice, aQn qu’ils
y pourvussent. Delà une discussion à laquelle prirent part
un assez grand nombre de députés , mais tout spécialement
le docteur Jaquemoud de Moûtiers (Savoie), dans le sens
vraiment libéral, et messieurs Pinelli, ministre de l’In’iérieur,
et le chevalier Menabrea, dans le sens retardataire. Nous
disposons de trop peu d’espace pour qu’il nous soit possible
de reproduire en son entier cette intéressante discussion : nous
nous limiterons donc aux principaux arguments mis en avant
de part et d’autre:
« II me semble, disait le ministre Pinelli, qu’il faut faire une
distinction entre les facultés que le rapporteur estime découler
du Statuto, et celles qui réellement en découlent, d’après les termes
dans lesquels il est conçu. Le Statuto dit ,que les cultes sont tolérés,
et il établit quelle est la religion de l’Etat. Je crois qu’entre la
liberté de conscience et la profession publique d’un culte, il doit
y avoir une grande différence, et en conséquence je ne suis pas
d'avis qu’on doive décider incidentellement une pareille question.
9
—
73
—
Le Ministre a cependant l’ingénuité de confesser qu'il est
bien vrai, que, dans des temps comme ceux où nous vivons,
la liberté de conscience toute seule est fort peu de chose,
pour ne pas dire rien du tout, personne, dans les usages
actuels, n’allant rechercher quel est le culte qu’un autre
professe , ce qui n’était pas le cas anciennement, où les
tribunaux de l’Inquisition pouvaient molester, dans leur con
science, ceux qui professaient une autre religion que celle de
l’E tat, mais, malgré cela, il continue:
« Quand le Slatulo dit que les autres cultes sont tolérés, il
n'a pas encore dit que tous ces cultes puissent s’exercer publi
quement ; et même dans les pays où il n’existe pas de religion
d’Etat, l’Etat a droit à une certaine surveillance, autorise ou
n’autorise pas l’exercice d’un culte, parce qu’il y a des cultes
qui peuvent en quelque manière blesser ou les usages , ou les
coutum es, ou la morale publique ; d’où je conclus qu'il peut y
avoir une différence réelle entre la tolérance d’ un culte et l’cxercice public de ce même culte , entendu dans ce sens qu'on puisse
ouvrir des temples auxquels tous ceux qui le veulent puissent
avoir accès.
« Le Statulo , disait à son tour le chevalier Menabrea, déclare
d’ une manière expresse que la religion de l’Etat est la catholique
romaine, que les autres cultes sont tolérés conformément aux
lois. Cela posé , il doit y avoir une différence essentielle entre
les droits du culte de l’Etat et ceux des cultes tolérés. Or, cette
différence , à mon avis, consiste spécialement en ce que celui de
l’ Etat est le seul qui puisse rendre ses fonctions publiques, tandis
que les autres ne doivent s’exercer que d’une manière pour
ainsi dire privée , surtout lorsqu’ils se trouvent en présence du
culte de l’Etat.
Plus loin le même orateur ajoute :
« On dit qu’on ne peut transformer un temple protestant en
salle de réunion secrète, que l’intérêt de l’ordre exige que le
gouvernement puisse voir ce qui s'y passe. Je ne conteste pas
cela, pas plus que je ne conteste, constitutionnellement, la liberté
de conscience, qui est un droit acquis à tous. Je consens même
à ce que le temple soit accessible à tout le monde , et que les
fonctions religieuses puissent s’y exercer avec toute la liberté pos
sible ; mais, en général, je n’admets aucune manifestation qui
dépasse l’enceinte même de ce temple.
Nos lecteurs seront peut-être aussi embarrassés que nous
à s'expliquer , comment Mr Menabrea entend faire marcher
ensemble ce culte privé , auquel il veut que les Protestants
10
— 74 —
soii’nl réduits , avec cette faculté qu'il est prêt à leur ac
corder, que leurs temples soient accessibles à tout le monde;
et ce qu’il avait en vue lorsqu’il disait : m a is, en général,
je n'admets aucune manifestation qui dépasse l’enceinte même
de ce temple. Serait-ce peut-être les services sur les cimetières?
Mais il n’a pu venir à sa pensée de vouloir interdire, dans
les temps où nous vivons, ces services qui se sont toujours
célébrés librement sous l’ancien régime. Ou bien sont-ce
(car il ne reste que cela) des processions protestantes, dont
l’honorable député a entendu dire qu’il ne pourrait les ad
mettre.^ S’il en est ainsi, que Mr Menabrea se tranquillise: de
telles « manifestations religieuses » sont trop peu du goût
des protestants, vaudois ou autres, pour qu’il puisse être
parfaitement assuré que sa dévotion n’en sera jamais troublée.
Quant au fond des arguments du Ministère (dont, par paren
thèse, il est piquant de remarquer la parfaite ressemblance
avec ceux des radicaux du canton de Vaud), voici comment
ils ont été battus en brèche par l ’honorable député savoyard :
« L’honorable Piuelti, dit le docteur Jaquemoud, s’efforçait tout-àl’heure, pour repousser la demande en question, d’établir une grande
différence entre la liberté de conscience et la liberté des cultes. De
prime abord, on serait porté àiadmettre cette distinction, . mais au
fond il n’y a pas de différence. Qu’est-ce. en effet, que la liberté de
conscience? C’est la faculté que chaque citoyen a d’adorer Dieu
selon le principe et dans la formule de sa croyance. Or ce prin
cipe et cette formule impliquent nécessairement des actes visibles,
des pratiques extérieures, des rites, des signes de piété que
nous appelons culte religieux. La croyance religieuse proprement
dite se résout forcément dans un culte externe et positif. Toute
autre ci’oyance qui ne se formule pas dans une série de signes
pieux , uniformés par une règle précise et commune, est de la
philosophie plutôt que de la religion. 11 est donc manifeste que
la liberté de conscience est identique avec la liberté de culte. Celte
liberté de conscience, une des plus précieuses libertés d’un régime
constitutionnel vrai et sincère, consiste d’abord, en ce que nul
citoyen ne soit le moins du monde contraint de faire un acte
religieux quelconque qu’il ne veut pas faire; en ce qu’il ne soit
en aucune manière molesté ni vexé pour n’avoir pas pratiqué les
exercices de la religion de son pays; en ce qu’il lui soit facul
tatif, en un mot, de rendre hommage à Dieu comme il l’entend
dans sa conscience, sanctuaire où Dieu seul a le droit de pé
nétrer. Cette liberté de conscience consiste en outre en ce que
tout citoyen puisse se livrer au culte conforme à sa croyance
intérieure,.... pourvu que ce culte ne compromette ni l’ordre
général, ni la morale publique. En empêchant donc l’érectiou
11
—
73
—
de ee temple dans Ica conditions voulues par le culte protestant,
dont les formes graves et honnêtes sont connues et reçues dans
toute société civilisée; en imposant à ce culte des conditions
onéreuses, peu décentes, et même impossibles à remplir conscien
cieusement par les religionnaires ; en les obligeant à cacher leur
culte comme s’il était une honte, nous attenterions à la liberté
de conscience. En conséquence, j ’insiste à ce que la pétition soit
prise en considération et transmise au ministère qui devra pour
Répondant plus tard au chevalier Menabrea, le même
orateur disait:
« Mon honorable collègue Menabrea ne me parait pas être entré
dans le cœur de la question, en basant sa distinction, entre la
religion d’Etat et le simple culte toléré, sur le plus ou moins
de publicité des actes du culte. En effet, si la liberté de conscience
devait se borner à ce qui se passe dans notre âm e, à la croyance
qui reste au-dedans de l’homme sans se produire par aucune
manifestation extérieure, il serait de toute inutilité que celte li
berté de conscience fût inscrite dans les constitutions politiques;
on n’aurait pas besoin de s’adresser au gouvernement pour en
jouir. Qu’ai-je besoin d’avoir une constitution libérale, qu’ai-jc
besoin de recourir au gouvernement pour croire en Dieu et
l’adorer dans ma conscience intim e, comme mon sentiment me
le dicte ? Evidemment donc la liberté de conscience n’est autre
chose que la faculté pour tout citoyen, de s’adonner à des pra
tiques externes, à un culte public conforme à sa croyance et qui
satisfasse aux besoins de sa conscience.
« Quant à la différence qui existe entre la religion de l ’Etat
et un culte toléré , elle ne consiste pas en ce que la première
puisse jouir de toute la publicité possible, tandis que le culte
toléré devra rester secret dans la conscience; mais bien en ce
que la religion de l’Etat, étant le culte officiel, jouisse d’une
latitude spéciale, de divers privilèges, hommages et honneurs
officiellement décernés , et qu’ensuite l’Etat fournisse l’argent
pour les frais de ce culte, ce qui est de toute justice, . . . . tandis
que le culte simplement to lé ré .... est exclu de toutes les faveurs
mentionnées, et n’existe qu’au moyen de subsides fournis, d’une
manière privée, par les sectaires qui le professent.
___ Un culte ne serait plus toléré et un véritable attentat contre la
liberté de conscience serait commis chez nous, si ce culte ne pouvait,
pour ses actes et cérémonies, obtenir cette raisonnable aisance et publi
cité , cette modeste dignité dont il a besoin selon les règles ordi
naires de son in stitu tio n .... Quant aux formes excentriques et aux
extravagantes singularités de certains cultes qui s’improvisent par
fois au préjudice de la morale et de la tranquililé publique, je
n’ai pas à eu parler ici : les lois de police seront toujours là pour
y mettre bon o rd re.. . . J’insiste donc sur la 'p rise en considération.
12
— 7G —
»
A la suite de celte discussion dont nous n’avons pu repro
duire que les traits principaux , la Chambre consultée , si
elle voulait ou non approuver les conclusions de la com
mission, se prononce pour l’affirmative.
Honneur à la Chambre pour un pareil vote !
Q U E S T IO N S » ’H E in A lV lT E
Ee co n g rè s de la p a ix u n iv e rse lle
Qu’est-ce donc que ce congrès de la paix universelle? de
manderont bon nombre de nos lecteurs qui lisent ce titre pour
la 1." fois. Voici ce que c’est : A la suite des longues et
désastreuses guerres qui affligèrent l’Europe, avant et pendant
le règne de Napoléon, le sentiment des calamités que ce fléau
entraine à sa suite était si v i f , et le besoin d’en prévenir
le retour si profond, qu’un certain nombre d’homme.s de bien
et pieux , en Angleterre , conçurent l’idée de fonder , sous
le nom de société de la p a ix , une association destinée
à am ener, par tous les moyens possibles, la réalisation d ’une
paix universelle entre les peuples, soit en exposant et en cherchant
à répandre les principes d’humanité et de christianisme qui font de
celte paix un devoir, soit en montrant par des faits comment ces
prescriptions du devoir sont en parfaite harmonie avec les exi
gences de l’intérêt bien entendu. Cette première société fut
fondée en fS lfi. Des sociétés analogues ne lardèrent pas à
s’établir en Amérique, en Suisse, en Belgique et dans
d’autres pays encore. Celle d’Amérique provoqua, il y a
quelques années, la convocation d’un congrès ou réunion
générale de ces différentes sociétés, lequel eut lieu à Londres
en juin 1845 , et où se trouvaient au-delà de 150 mem
bres. En 1848 un congrès semblable , mais déjà plus nom
breux , eut lieu à Bruxelles, capitale de la Belgique. Tout
dernièrem ent, dans le courant du mois d’a o û t, au milieu
par. conséquent des guerres et des bruits de guerre partout re
tentissant , le Congrès des amis de la paix s’est réuni dans
la capitale même de la F rance, et des hommes de toutes les
opinions politiques et religieuses aussi bien que de toutes les
nations y ont pris une part active. Au-delà de 700 Anglais
et Américains, la plupart décidément chrétiens, étaient ac
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courus à ce solcmiel rciulcz-vous. Les séances qui ont duré
trois jo u rs, au milieu d’une affluence d’environ 2000 audi
teurs , ont été des plus intéressantes et des plus animées ,
quoique toujours fort graves. Les propositions adoptées, ou
pour mieux dire , les vœux émis par le Congrès sont les
suivants: 1.“ Engagement pris par les différents gouverne
ments de ne point décider par les armes , mais de résoudre
par voie d’arbitrage les diflérents qui viendraient à surgir
entre les uns et les autres; 2." adoption d’une mesure gé
nérale et simultanée de désarmement, dans le double but de
diminuer les charges de l’Etat et de faire disparaître une cause
permanente d’irritation et d’inquiétude entre les peuples ;
3 .“ adoption d’un code international voté dans une assemblée
de représentants de tous les peuples; it.® réprobation des
emprunts et des impôts destinés à alimenter la guerre ;
3.“ efforts persévérants de la part des membres de la société,
de la part des ministres de la religion et de la part des journaux,
pour faire disparaître, par une meilleure éducation de la
jeunesse et par toute autre voie, les préjugés politiques et
les haines héréditaires, première cause, si souvent, de guerres
désastreuses; G.® perfectionnement aussi prompt que possible
des voies de communication entre les différents peuples ; adoption
des mêmes types de poids et mesures, et multiplication des
sociétés de la paix dans tous les pays. — Chacune de ces
propositions a donné lieu à de magnifiques discours que nous
regrettons fort de ne pouvoir reproduire ici. 11 en est un
cependant dont nous ne voulons pas priver nos lecteurs, c’est
celui par lequel le président, Mr Victor H ugo, mettait
fin aux séances de cette assemblée. 11 se trouva que cette clôture
avait lieu le 24 ao û t, jour anniversaire de cet affreux massacre
des protestants français, resté célèbre dans l’hisloire sous le
notïi de la Saint-Barthélemy. L’éloquent orateur, s’emparant
avec à propos de ce souvenir, s’exprima dans ces termes:
« Ce malin , à l’ouverture de cette séance , au moment où un
respectable orateur chrétien tenait vos âmes palpitantes sous la
grande et pénétrante éloquence de l’homme cordial et du prêtre
fraternel, en ce moment là, quelqu’un, un membre de cette
assemblée , dont j’ignore le nom , lui a rappelé que le jour où
nous sommes, le 24 aoû t, est l’anniversaire de la Saint-Barthélemy.
Le prêtre catholique a détourné sa tête vénérable et a repoussé
ce lamentable souvenir. Eh bien, ce souvenir je l’accepte , moi ! (Pro
fonde et universelle impression) Oui, je l’accepte! (Mouvement prolongé).
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« O ui, cela est v rai, il y a de cela deux cent-soixante-dlx-sept
années, à pareil jo u r, P aris, ce Paris où vous êtes, s’éveillait
épouvanté. Au milieu de la nuit, une cloche, qu’on appeilail la
cloche d'argent, tintait au Palais-de-Justice , les catholiques couraient
aux armes , les protestants étaient saisis dans leur sommeil , et
un guet-apens , un massacre , un crime où étaient mêlées toutes
les haines , haines religieuses, haines civiles , haines politiques,
un crime abominable s’accomplissait. Eh bien! aujourd’hui, dans
ce même jour , dans cette même ville. Dieu donne rendez-vous à
toutes ces haines et leur ordonne de se convertir en amour !
(tonnerre d’applaudissements). Dieu retire à ce funeste anniver
saire sa signification sinistre: où il y avait une tache de sang,
il met un rayon de lumière (long mouvement) ; à la place de
l’idée de vengeance, de fanatisme et de g u e rre , il met l’idée de
réconciliation, de tolérance et de paix; et grâces à lui , par sa
volonté, grâce aux progrès qu’il amène et qu’il commande , pré
cisément à cette date fatale du 2â août, et pour ainsi dire à
l’ombre de cette tour, encore de bout, qui a sonné la Saint-Bar
thélemy , non seulement Anglais et Français, Italiens et Allemands,
Européens et Américains, mais ceux qu’on nommait les papistes,
et ceux qu’on nommait les huguenots, se reconnaissent frères
(mouvement prolongé) et s’unissent dans un étroit et désormais
indissoluble embrassement! (Explosion de bravos et d’applaudissements).
« Osez maintenant nier le progrès ! (Nouveaux applaudissements).
« F rères, j ’accepte ces acclamations, et je les offre aux générations
futures (Applaudissements répétés). O ui, que. ce jour soit un jour mé
morable , qu’il marque la fin de l’effusion du sang hum ain, qu’il
marque la fin des massacres et des guerres, qu’il inaugure le commen
cement de la concorde et de la paix du monde, et qu’on dise: Le 24
août 1S72 s’efface et disparait sous le 24 août 1849 ! ! ! (Longue et una
nime acclamation. — Les bravos éclatent de toutes parts; les Anglais
et les Américains se lèvent en agitant leurs mouchoirs et leurs cha
peaux vers l’orateur, et poussent sept hurrahs).
V A R IE T E S
L E S F V N £ a A l I .l i E S D E C H A B L E S -A L B E a T
Celle triste, mais émouvante cérémonie a été célébrée dans la capitale
durant trois jours consécutifs, vendredi, samedi et dimanche, 12, 15
et 14 octobre.
A deux lieurcs et demie du premier jour. la dépouille mortelle de
l’auguste Monarque était reçue, à quelque distance de la ville, par les
différents corps de l’Etat, les députations des provinces, de la Gardenationale et de l'armée, sous le magnifique pavillon érigé pour cette
solennité. Ce pavillon, en forme d’arc de triomphe, surmonté d'une
couronne cl recouvert de tentures blanches et noires en guise d’her
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mine, portail à ses quatre faces, au-dessous des armoiries de Savoie
cnlourdcs de bannières tricolores, quatre inscriptions qui, réunies, for
maient le quatrain suivant, admirablement approprié à la circonstance:
Oh! quale, a far più trlsli i tristi giorni,
Da noi partisti , A lberto , e quai ci torni !
Sospir d’Ilalia e sinibolo e beindiera,
Sul tuo cenere sacra è scritto : spera !
Une pluie serrée tombait en ce moment : le ciel était noir et le temps
fort triste. Néanmoins la foule qui parcourait les rues était considérable et
une douloureuse attente se lisait sur les visages. A un coup de canon
parti de la place de S. Seconde, le cortège se mit en marche. La
route qu’il devait parcourir , de l’arc de triomphe à l'église de St-Jean,
était bordée d’une double haie de troupe de ligne et de Garde-nationale.
De distance en distance s'élevaient d'élégantes pyramides, sur lesquelles
étaient peints les noms et les armoiries des Jillérenles provinces , et d'où
pendaient des bannières tricolores voilées de crêpe. Des trophées d’armes,
convenablement disposés, s’élevaient par intervalle, enlrc ces pyramides.
Sur la place qui précède la Porte-Neuve, de hautes antennes , aux couleurs
blanc et noir, laissaient pendre de leur sommet et flotter au gré du vent,
de longs oriflammes, semés de croix d’or sur un champ noir, et surmontés
du chilTre du ro i, ce qui présentait un spectacle à la fuis imposant
et triste.
Les rues et les places que le cortège devaient traverser, étaient parées
de noir; chaque seuil de maison , chaque fenêtre, chaque balcon regorgeait
de peuple, hommes et femmes, celles-ci la plupart vélues en deuil. Un
corps'de troupe de dilTérentes armes, cavalerie, artillerie, marine, in
fanterie, carabiniers et Garde-nationale ouvraient le cortège. Le son lugubre
des tambours , les noies plaintives de la musique militaire , le glas des
cloches , le retentissement à de courts et réguliers intervalles du canon
de la ciladelle produisaient un saisissement indéfinissable.
Venaient ensuite les valets de la Cour , les gardes du Corps, les officiers
de tout grade , tous à pied , sur deux files ; puis les citoyens vêtus en
grand deuil, parmi lesquels on avait assigné une place à la députation
vaudoise ; puis les députations des provinces, le Municipe de Turin , les
Députés , les Sénateurs et les Ministres. Mais c’était vers le char funéraire
que se dirigeaient tous les regards. Au-devant de ce ch ar, à une petite
distance, s’avançait à cheval, le vieil aide-de-camp , l’ami de cœur du
magnanime Monarque, portant à la main l’épée, voilée de noir, qui devait
opérer l’indépendance de l'Italie.
Le char mortuaire, en forme de dais , surmonté d’une couronne,
venait ensuite tiré par 8 chevaux noirs, magnifiquement harnachés et
couverts de crêpe ainsi que le char lui-même. Immédiatement derrière le
char, marchait, mené à la main par un écuyer, le cheval de bataille du roi dé
funt, sellé comme pour le combat, et pareillement tout couvert de crêpe.
Huit voilures, aux armoiries royales, en grand deuil, tirées chacune par
six chevaux noirs, continuaient le cortège, que fermaient un bataillon
de Garde-nationale , un détachement de carabiniers à cheval et un
escadron de cavalerie. — Au moment où le corps de Charles-Albert
entrait dans Turin, eut lieu un phénomène atmosphérique qni ne laissa
pas de faire une grande impression sur l’esprit du peuple :1a pluie qui
n’avait pas discontinué de tomber, cessa tout-à-coup, et un beau rayon
de soleil, perçant les nuages, vint briller sur la ville. Arrivé que fut
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le char inurluaire à la porte de la cathédrale, richement parée au-dedans
et au-deliors , les marins du Monzambano en enlevèrent le cercueil qu’ils
remirent aux gardes du Corps, pour être transporté dans l’église, où il
demeura le reste de ce jour et tout le lendemain, pendant que s’accom
plissaient, pour l’illustre défunt, les cérémonies du culte catholique. Le
dimanche matin, vers les 10 heu res, le vénérable dépôt fut enlevé de
là et conduit à Superga, le lieu de sépulture des rois de Sardaigne.
Il était accompagné du même cortège qui avait été le recevoir à son
entrée, augmenté encore d’un clergé immense, de toutes les confrater
nités de la ville et des enfants des écoles enfantines, vêtus de noir, aux
frais de la couronne. Les mêmes signes de deuil ornaient les fenêtres et
les balcons des places et des rues qu’il avait à traverser ; mais ce qu’on
n'avait pas vu le premier jour et qui fut ce jour-ci souverainemeut tou
chant, ce fut la pluie de fleurs q u i, durant tout le trajet, ne cessa de tomber
sur le char mortuaire, tellement qu’à la fin il en était entièrement couvert.
Tels furent les honneurs rendus par son peuple à la dépouille mortelle du
grand monarque initiateur et fondateur de nos libertés. Certes, jamais roi de
Sardaigne n’ eut de pareilles funérailles et ne fut l’objet d’un regret aussi uni
versel; mais qui aussi s’en était montré plus digne que lu i? Qui se montra
plus véritablement père de ses peuples, au point de sacrifier pour leur bien
repos, couronne et même sa vie? Aussi est-il certain que la vénération atta
chée à ce nom auguste, au lieu de diminuer, ira en grandissant avec les an
nées. S ymbole et bannièbe de liberté et d’indépendance, comme il était écrit
sur l’arc de triomphe, voilà ce que le nom de C harles -A lbert va devenir
chaque jour plus. Puisse seulement son noble exemple et son héroïque abné
gation trouver aussi chaque jour plus d’imitateurs! C’est faute d’en avoir
trouvé qn’il est tombé; et la trahison dont C harles-A lbert a été victime, n’est
pas tant celle de quelques individus pris isolément, que celle de la nation en
tière, qui n’a pas su répondre, par des sacrifices efficaces, aux sacrifices sans
bornes de son Conducteur !
N O ffW E M é M jB S
B E E M ê lM E E S E S .
V allées vaudoises. Un acte de justice: Nous croyons savoir de source cer
taine que des ordres ont été donnés par le Ministère, pour que les soldats vaudois qui viendraient à mourir dans les localités où il n’existe pas de cimetière
protestant, fussent ensevelis honorablement dans l’enceinte du cimetière ca
tholique, — Voilà qui est très-bien. Reste à voir maintenant si ces ordres du
Ministère seront exécutés.
— Vit acte d’injustice: Deux colporteurs de livres saints ont été arrêtés (ils
ont été relâchés bienlôt après) et leurs livres séquestrés, l’un à Coni et l’autre
à Praly, dans l’enceinte même des Vallées. Cette saisie a eu lieu ensuite d'or
dres transmis à cet effet, par le Ministre de l’Intérieur, à tous les Intendants
des provinces. A quelles sollicitations a cédé le Ministère, en ce faisant, il est
facile de le déviner, après la circulaire de l’évêque de Saluces que nous avons
rapportée (v. n. 3). ’foujours les ba'ionnettes au service de la fo i! Nous re
viendrons sur ce fait souverainement inconstitutionnel et pour le fond et pour
la forme.
Le Gérant:
J, p, UEILLE.
Pignerol 1849, imprimerie de Joseph Chiantore.