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*- année
Janvier 1867.
N.O t.
L'ÉCHO DES VALLÉES
—(NOUVELLE SÉRIE)—
Que toutes les choses qui sont véritables.. occupent
vos pensées — { Philippiens., IV. 8. )
SOMMAIRIÎ — Nos souhaits. -- L'église et l'état. — Encore un mot sur L. lìriciel.
— Événements du mois. — Nécrologie.
l^OS SOUHAITS
A l’heure qu’il est nous serons probablement les seuls qui
ayons encore des vœux à former pour l’année 18G7. — Nous
le regrettons. — Mais pour VÉcho des Vallées qui ne sait
compter encore que par mois, c’est janvier qui ouvre la
marche, et il lui en coûterait de n’avoir pas fait comme tout
le monde. Reste à savoir quel profit peut revenir à l’humanité
de cette infinité de souhaits qui s’échangent <à chaque renouvellement d’année. «Désirer», on l’a dit, « ce n’est pas une
chose aux hommes difficile » et si nous avons bien lu ( Prov.
21 ), la paresse elle-même trouverait son compte à souhaiter
bien mieux qu’à travailler et à donner. — Ilàton.s-nous d’ajouter que par celte allusion nous n’avons l’intention d’ofi'enser
personne, et qu’en tout cas ce n’est point sur nous que doivent
tomber les soupçons. — Ce que nous ne voudrions pas nier
c’est que nos souhaits ne fussent chez nous plutôt un signe
de pauvreté que de riches.se ; qui a de quoi donner n’est guère
plus admis à payer les autres d’un simple souhait qu’il ne
serait disposé à s’en contenter pour lui-même ; le pauVre seul
a le droit de faire au pauvre cette aumône. — Si.donc VÉcho
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— 2 —
en est réduit à faire, pour toute étrenne , des vœm de bonne
année , on aura bien raison d’en conclure qu’il n’a ni ce qu’il
lui faudrait pour son compte , ni ce qu’il voudrait pouvoir
donner à ceux qu’il aime. — Nos souhaits auront-ils moins
de prix pour cela ? — Nous pensons qu’ils pourront en avoir
davantage... à la condition toutefois qu’impuissants et stériles
par eux-mômes ils se convertissent en autant de prières à Celui
qui peut seul accorder à chacun les demandes de son cœur.
— C’est dans ce sens que nous osons, quoique si tard, exprimer encore le vœu sincère que cette nouvelle année soit
pour tous un an de grâce et de paix; — dans ce sens aussi,
l’on comprendra qu’il nous soit permis de commencer par
nous-mêmes.
Nos vœux donc tout d’abord et nos meilleurs souhaits pour
YÉcho et ses abonnés ! L’occasion serait belle ici de dire poliment
au petit journal ce qu’il laisse à désirer pour satisfaire son
monde_____mais peut-être l’a-t-il déjà senti lui-même : passons
donc pour cette fois. — Seulement, pourquoi faut-il que nous
soyons dans l’impossibilité de répondre pour cette année au
désir que nous ont manifesté quelques uns de nos lecteurs
de nous voir paraître au moins deux fois par mois au lieu
d’une ! — Personne plus que nous ne sent l’insufFisance, pour
le but que nous nous proposons, d’une feuille mensuelle qui
se lit en trente minutes ; le mal est que du désir à la force
nécessaire, la distance pour nous est énorme ; — et tout bien
considéré, nous croyons prudent de ne point embrasser davantage.
Tels que nous sommes, on nous trouverait sans doute excusables de souhaiter à YÉcho un grand nombre d’abonnés,
n’importe lesquels : — un journal sur ce point a toujours) des
vues larges. — 11 est cependant une classe de lecteurs que
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— 3 —
nous serions tout particulièrement heureux de pouvoir atteindre : ce sont ceux de la campagne. Ceux-là n’ont en général
que peu de temps à consacrer à la lecture , et ils restent pour
la plupart aussi étrangers à ce qui se passe dans leur propre
patrie qu’à ce qui se fait en Chine ou au Japon. — Quelques
faits instructifs, quelques nouvelles précises, et môme, si
l’on peut, une ou deux idées par mois , ce serait pour nos
gens mieux que rien , et pour nous une augmentation de
plaisir. — Or ces lecteurs nous ne les aurons qu’avec beaucoup de peine , et ce ne sera pas trop , pour arriver jusqu’à
eux , de tout ce que nos premiers abonnes pourront nous
prêter encore de concours et d’appui.
Après l’Echo et ses abonnés , et même avant, si l’on veut,
c’est la famille Vaudoise qui nous touche de plus près et que
nous aimerions à voir pros])érer. — A ne les considérer que
comme une population qui professe d’avoir dans l’Évangile
son trésor et sa règle, il serait fort à désirer qu’on put dire
des A'audois ce qu’on dit des nations plus ou moins protestantes. Et pourquoi serions-nous les seuls à faire exception à
cette loi que partout où la Dible est justement appréciée , on
remarque une supériorité frappante au point de vue de la
moralité, des lumières et du bien être? — Les Vaudois, nous
dira-t-on , n’ont point à craindre la comparaison avec leurs
voisins et leurs compatriotes. ~ Aous l’admettrons volontiers
et nous ne doutons pas que d’autres , moins intéressés , ne
soient dLsposés à l’admettre avec nous. — Mais serait-il indiscret de souhaiter qu’au lieu d’être égaux à leurs concitoyens,
les Vaudois leur fussent d’autant supérieurs que la Parole de
Dieu est supérieure aux traditions des hommes? — A quiconque a reçu davantage il est plus redemandé : la maxime
n’a point été , que nous sachions, jusqu’à présent trouvée en
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défaut. — En quoi donc sommes-nous plus excellents ? —
Sommes-nous , plus que d’autres, d’intelligents , d’énergiques
travailleurs? — Peut-on dire de nous que nous sommes un
peuple qui sait lire et qui lit? — Nos moeurs offrent-elles bien
toute la pureté désirable , et notre parole n’a-t-elle rien perdu
de son antique valeur? — Libre à chacun de faire à ces
questions la réponse qu’il lui plait. — Pour la nôtre on la
devine , et c’est de toutes nos forces que nous souhaitons aux
Vaudois de s’armer de leur première vigueur, de reconquérir
leur vieux renom.
Quant à nos Eglises , comme telles , nous n’avons guère à
leur souhaiter, pour cette fois, que ce bien : nous voulons
dire quelque chose de pareil à « cette petite nuée large comme
la paume de la main d’un homme, » que le serviteur d’Elie
aperçut des hauteurs du Carmel ( I Rois, 18), montant de
la mer.
Peu de sociétés chrétiennes jouissent d’une organisation
aussi large à la fois, et aussi simple que nos églises vaudoises.
— On dirait une prairie que sillonnent mille ruisseaux grands
et petits, creusés et distribués de manière à porter au plus
mince brin d’herbe sa goutte d’eau vive. Quelque plante
sèche tombée des bords dans la rigole, un peu de vase
amassée pourrait bien par-ci par-là présenter quelque obstacle ; mais l’eau arrivant, le mal serait aisément corrigé.
— Ce qui nous manque beaucoup trop, c’est précisément
cette eau vivifiante. — O qui viendra remplir nos canaux
jusqu’à les faire déborder ? Quand aurons-nous le bonheur
de voir « ces nuées accompagnées de vent », d’entendre
« le son bruyant de la pluie ?» — Et, pour parler sans figure,
comment donner ou rendre la vie à tant de choses qui chez
nous portent de si beaux noms ? — Notre ardente prière,
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c’est que nos Eglises sentent ce besoin , et que l’année 1867
ne s’écoule pas sans qu’un souffle d’en haut nous ait apporté
le nuage désiré. — Un vent de tourbillon mugit sur les
montagnes : les feuilles mortes vont être arrachées de leur
tige , et la saison ne s’annonce guère propice aux amslitutions maladives.
L’ÉGLISE ET L’ÉTAT
Nous venons peut-être un peu tard pour transcrire dans
les pages de VEcho la fameuse lettre de M" le baron Ricasoli
aux évêques italiens réfugiés à Rome. Mais cette lettre admirable est un document d’une si haute importance qu’il n’est
jamais trop tard pour la reproduire. Si, jusqu’à présent, on
n’était pas précisément d’accord sur le sens qu’il convenait
de donner à la formule de Cavour : Libéra chiesa in Uhero staio,
si même l’on avait des doutes sur la possibilité de l’appliquer,
aujourd’hui, du moins, l’on saura à quoi s’en tenir sur cette
question vitale , car M’’ Ricasoli s’est exprimé avec toute la
clarté et avec tous les développements désirables ; aujourd’hui,
du moins, nous voyons cette grande idée se préparer à devenir
un fait, c’est-à-dire à entrer dans la pratique. Puisse-t-elle ,
par la bénédiction d’en haut, porter beaucoup de fruits à la
gloire de Dieu, à la gloire de Jésus-Christ, le seul Chef de
l’Eglise !
Un mot d’explication sur cette lettre ne sera pas hors de
propos. — Bon nombre d’évêques italiens avaient été éloignés
de leurs diocèses par le gouvernement, et plusieurs d’entre eux
s’étaient retirés à Rome , lorsque parut une première circulaire
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— 6 —
de Mf Ricasoli, puis une seconde, qui levaient tout empêchement
à leur rappel. 3Iais, dans l’intervalle, les évêques retirés à Rome
s’étaient crus exclus, parcequ’il avait été d’abord fait une exception pour eux ; se croyant donc frappés et ignorant encore
l’existence de la seconde circulaire, ils ont écrit à W Ricasoli
une lettre remarquable à bien des égards , mais remarquable
surtout en ceci : c’est qu’elle contient un bel éloge de la bberté religieuse.... en Amérique. Jr Ricasoli s’est hâté de
répondre de la manière suivante (1) :
Messeigiieurs,
Je reçois aujourd’hui seulement la lettre que vous m’avez fait
l’honneur de m'adresser de Rome à la date du 15 courant, au sujet
du rappel des évêques dans leurs diocèses. Cette lettre m’a été doublement agréable , d’abord pour les hautes raisons qui vous ont engagés
à approuver une telle mesure, et dans lesquelles j’ai l’honneur de
me rencontrer avec vous ; ensuite parceque vous y demandez que la
faculté accordée aux évêques par la circulaire du 22 octobre soit
étendue aussi aux membi-es de l’épiscopat qui demeurent à Rome ,
ce qui me montre que votre esprit est disposé à la bienveillance
et au respect des institutions et des lois à l’ombre desquelles vous
demandez à vivre.
Je suis heureux d’avoir sur ce point prévenu vos désirs et interprété vos sentiments , car le jour même (2) dont votre lettre porte la
date , j’ordonnais que l’exception dont vous vous plaignez fût levée ,
et je suppose que vous en aurez reçu maintenant la notification
officielle.
Les déterminations prises par le gouvernement à cet égard dérivent,
ainsi que vous le dites, de la volonté d’agir de telle sorte que le
principe d’une liberté entière dans les rapports de l’Eglise avec l’Etat
sortent de la région abstraite des principes, pour passer dans la
réalité des faits.
(1) Nous empruntons la traduction de ce document kVItalie du 23 décembre 1866.
(2) 15 novembre 1866.
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Le gouvernement ne désire pas moins que vous, Messeigneurs. que
l’Italie elle-même jouisse bientôt du magniüque et imposant spectacle
religieux dont se félicitent aujourd’hui les libres citoyens des EtatsUnis d’Ammrique , en présence du Concile national de baltimore, où
se discutent librement les doctrines religieuses et dont les décisions,
approuvées par le pape, seront proclamées et observées dans chaque
ville ou village , revêtues de toutes les sanctions spirituelles , saus
aucun exequalur ou placel.
Je vous prie cependant, Messeigneurs, de vouloir bien considérer
que ce spectacle admirable, c’est la liberté qui le produit, la liberté
professée et respectée par tous, en principe et en fait, dans sus plus
larges applications à la vie civile , politique et sociale.
Aux Etats-Unis , tout citoyen est libre d’observer la croyance qui
lui semble meilleure, de rendre hommage à la divinité dans les formes qui lui paraissent le plus convenables. A côté de l’Eglise catholique s’élèvent le temple protestant, la mosquée musulmane, la
pagode chinoise ; à côté du clergé catholique, fonctionnent le consistoire de Genève et la congrégation méthodiste. Un tel état de choses
n’engendre ni confusion , ni froissements. — Et pourquoi? — Parce
qu’aucune religion ne demande à l’Etat ni protection spéciale , ni
privilège ; chacune vit, se développe , se pratique sous l’égide de la
loi commune ; et la loi_, également respectée par tous, garantit à tous
une égale liberté.
L’intention du gouvernement italien est de montrer , autant qu’il
est en lui, qu’il a foi dans la liberté , et qu’il veut l’appliquer, pour
.sa part, avec autant de largeur que le lui permettent les intérêts de
l’ordre public.
Il dit donc aux évêques de retourner à leur ministère, dont ils ont
pu être éloignés précisément pour des raisons d’ordre public. Il n’y
met d’autre condition que la condition suivante imposée à tout citoyen qui veut vivre tranquille, de se renfermer dans sa fonction et
d’observer la loi ; l’Etat se charge d’empêcher qu’il soit troublé ;
seulement qu’il ne lui demande aucun privilège, s’il ne veut souffrir
aucun lien ; le principe de tout Etat libre, que la loi est égale pour
tous , n’admet de distinction d’aucune sorte.
Le gouvernement serait heureux de pouvoir écarter tout soupçon
et renoncer à toute précaution , et s’il ne fait pas aujourd’hui à ce
sujet tout ce qu’il désire, c’est parce que le principe de liberté qu’il
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a adopté et mis en pratique n’est pas au même degré adopté et pratiqué par le clergé.
Remarquez, Messeigneurs, la différence entre la situation de l’Eglise
en Amérique et la situation de l’Eglise en Europe.
Dans ces contrées vierges, l’Eglise s’est établie au milieu d’une
société nouvelle , mais qui apportait avec elle, de la mère patrie ,
tous les éléments de la société civile. Représentant elle-même le
plus pur et le plus sacré des éléments sociaux, ce sentiment religieux
qui sanctionne le droit, sanctifie le devoir et réunit dans une pensée plus
élevée que tontes les choses terrestres les aspirations humaines , elle
n’y a cherché que le gouvernement agréable à Dieu , le gouvernement
des esprits. Venue avec la liberté et grandie à son ombre , l’Eglise
y a trouvé tout ce qui suffisait à son libre développement, au tranquille et fécond exercice de son ministère, et jamais elle n’a cherché
à interdire aux autres cette liberté dont elle avait le bonheur de jouir,
ni à faire son profit exclusif des institutions qui les protégeaient.
En Europe , au contraire , l’Eglise est née au moment de la décadence du grand empire qui avait subjugué toute la terre ; elle s’est
constituée, au milieu des cataclysmes politiques et sociaux des siècles
barbares , et elle a dû penser à se donner une organisation assez
forte pour résister au naufrage de toute civilisation , parmi les flots
montants de la force brutale et de la violence.
Mais pendant que le monde , sorti du chaos du moyen âge , se
recomposait et reprenait la route du progrès qui lui a été marquée
de Dieu, l’Eglise prétendit communiquer à tout ce qui avait quelque
rapport avec elle l’immobilité du dogme dont elle est la gardienne ;
elle vit avec inquiétude le développement des intelligences, la multiplication des forces sociales , et se déclara l’ennemie de toutes les
libertés, en niant la plus précieuse et la plus incontestable, la liberté
de conscience.
De là naquit le conflit entre le pouvoir ecclésiastique et le pouvoir
civil, parce que le premier représentait l’assujettissement et l’immobilité ; le second , au contraire , la liberté et le progrès.
Ce conflit, par suite de conditions spéciales , a pris en Italie des
proportions plus graves , parce que l’Eglise pensant que, pour exercer,
en dehors de toute autorité laïque son ministère spirituel, un royaume
lui était nécessaire, elle a rencontré ce royaume en Italie. Le pouvoir
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ecclésiastique, par là même, se trouve ici en contradiction non seulement avec le pouvoir civil, mais avec le droit national.
Telle est l’origine de ces défiances et de ces précautions que j’ai
indiquées dans ma circulaire et qui ont provoqué vos réclamations ,
alors qu’elles n’ont été inspirées que par la nécessité des choses.
Les évêques ne peuvent se considérer parmi nous comme de simples
pasteurs d’âmes , parce qu’ils sont en même temps les défenseurs et
les instruments d’une autorité qui contrarie les aspirations nationales.
Partant, l’autorité laïque est contrainte de les soumettre aux mesures
qui peuvent lui sembler nécessaires , pour la défense de ses droits et
de ceux de la nation.
Comment faire cesser ce déplorable et périlleux conflit entre les
deux pouvoirs , entre l’Eglise et l’Etat ?
La liberté seule peut nous amener à cette situation heureuse que
vous enviez , Messeigneurs , à l’Amérique. Oue l’on rende à César
ce qui est à César, à Dieu ce qui est à Dieu, et la paix entre l’Etat
et l’Eglise ne sera plus troublée.
J’ai voulu rendre hommage à ces principes en relevant les évêques
de la défense de retourner et de séjourner dans leurs diocèses. Je
crois que la liberté est bonne à pratiquer ; et je crois , de plus,
qu’elle a la vertu de ramener à elle les esprits de ceux qui sont
appelés à jouir de ses bienfaits.
J’ai la confiance, Messeigneurs, qu’en retournant dans vos diocèses
avec ces sentiments de respect pour la loi exprimés dans votre lettre,
au milieu de populations qui veulent rester catholiques sans renoncer
aux droits et aux aspirations de 1a nation à laquelle elles appartiennent , vous bénirez cette liberté qui les protège , et sur laquelle
seule il est possible de fonder la conciliation d’intérêts qui jusqu’à
présent ont paru inconciliables.
Ricasoli.
ENCORE UN MOT SUR L. BRIDEL
Grand nombre des lecteurs de YÈchX) des Vallées connaissent à coup
sûr les détails qui ont paru dans bien des journaux sur le caractère,
la vie , la maladie et la mort distingué , du chrétien fervent, du pré-
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dicateur plein de mérite, que Dieu rappelait à lui au commencement
du mois de novembre : aussi à plusieurs les lignes qui suivent peuvent-elles paraître un hors d’œuvre ; tant il est vrai que de nos jours
quelques semaines font d’une mort récente une vieille nouvelle ; mais
à d’autres, nous osons l’espérer elles rappelleront que nous avions
un devoir à remplir , devoir sacré vis à vis de la mémoire de cet
homme qui nous aimait profondément.
Né en 1813 il était consacré pour le service de Dieu en 1838 ; mais
ce ne fut pas sans de rudes combats qu’il traversa la période de ses
études. On est porté à croire que des hommes d’une piété solide et
vivante ont toujours été à l’abri des luttes , des défaillances qui sont
le partage de tous ceux qui veulent marcher dans les sentiers du
Seigneur. Mais c’est là une erreur étrange , et nous voyons bien au
contraire que Satan , qui connaît les hommes , frappe avec plus de
force et plus de vigueur ceux qui par leurs talents seront appelés un
jour à se trouver à la tète de l’armée du Christ. Bridel en est une
preuve ; écoutez ce qu’il écrivait lui-même : « Je suis dans l’état le
plus déplorable, sans foi religieuse, sans opinions fermes sur aucun
sujet, toujours flottant à tout vent de doctrine , un jour me croyant
chrétien , le lendemain me trouvant philosophe et quel philosophe !
toujours battu de tous les vents , sans énergie, ne pouvant distinguer
en moi bien clairement que ma faiblesse excessive, ma presque totale
nullité. Si rapportant à Dieu tout bien, attendant tout secours de Lui,
je vetix prier, la prière effleure mon âme, les deux ou trois premiers
mots partent du cœur, le reste est mots, rien que mots ». Ailleurs
ce cri profond s’élève de son âme : « Oh si jamais j’étais chrétien !
sous celte perspective mon avenir , de noir et voilé qu’il me paraît
aujourd’hui, me semblerait tout heureux et tout facile; ministre d’une
religion à laquelle je serais dévoué corps et âme , je crois que je
pourrais rendre quelques services à la cause que j’aurais embrassée ;
incrédule converti , je saurais les détours de l’âme de l’incrédule, et
Dieu aidant , j’en pourrais ramener quelques uns à la bonne voie ;
c’est mon château en Espagne , ou plutôt en l’air , jusqu’à ce qu’il
soit assis sur quelques fondements solides ! » Céux qui ont connu
Mf Bridel savent jusqu’à quel point il a réalisé ce château en Espagne;
il serait intéressant,, utile pour chacun de nous,de voir comment
d’élève vacillant encore dans la foi il devient maître, plein; de zè^lo,
■f f-i cl .,i- I - ilu ' ' i-
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— Il —
de mérite , chef en Israël , comme le dit un de ses amis. Mais la
place nous manque : nous ne pouvons suivre Bridel dans le canton
de Vaud où il fit un séjour de 23 ans travaillant pour le service du
Seigneur?, puis à Paris où il séjourna 18 ans, d’abord comme évangéliste, puis associé à la direction de l’Ecole normale d’instituteurs,
et enfin choisi pour être un des prédicateurs de l’Eglise évangélique.
Voici de quelle manière M*' le professeurs Chappuis jugeait le prédicateur : « Quelle parole aisée, gracieuse, flexible, naturelle, éloquente
sans doute, touchante et persuasive, mais surtout et toujours quelle
parole aimable 1 quel sain et ferme discernement , quelle solidité ,
quelle harmonie, quelle juste mesure, quelle soigneuse pondération,
quel tact délicat et sûr. On trouvait toujours dans sa bouche la pure
parole de l’Evangile, mais qu’il en était, dans sa sincère et profonde
humilité , un digne interprète ! Il réunissait à un haut degré des
qualités qui semblent s’exclure : l’élan et le sang froid, l’enthousiasme
et la possession de soi-même , l’imagination et le jugement; il n’y
avait chez lui rien de hasardé et d’excessif , mais un admirable et
constant équilibre ; un bon sens élevé et délicat, un bon sens sanctifié , tel fut un des caractères les plus saillants de la prédication
de Bridel. • Ceux qui ont eu le bonheur d’entendre M'' Bridel prêcher
dans notre temple de la Tour sur « les tristesses humaines • peuvent
juger si dans ce qui précède il est rien d’exagéré.
Considéré comme homme et comme chrétien, nous pourrons signaler
différentes qualités vraiment rares à ce degré éminent. « Sa haine
pour la flatterie , son attitude et son visage sévère quand il la voyait
venir , suffisait à l’ordinaire pour l’avertir de s’arrêter. Mais ce qui
forme peut-être le trait le plus prononcé de son caractère c’est l’activité.
Il savait trouver du temps pour tout et il portait le poids de ses
occupations multipliées avec un admirable facilité , sans accablement
et sans aucune ostentation ». — Voilà ce que les personnes vivant,
pour ainsi dire , journellement en contact avec Bridel pensaient de
lui. Maintenant reportons-nous à notre dernier Synode ; là nous verrons pour la première fois Bridel au milieu de notre Eglise , de corps
du moins, car il était, depuis de longues années, déjà avec nous de
cœur et d’esprit. Ne vous souvient-il pas de l’avoir entendu s’écrier:
• C’est avec une vive émotion et une grande joie que je me trouve au
milieu de vous », ou encore : » C’est une joie bien rare que celle de
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— 12 —
voir une Eglise comme la vôtre, à la fois vieille et jeune » , et surtout ne vous souvient-il pas des sages conseils qu’il nous donnait,
de l’insistance avec laquelle il nous engageait à suivre dans notre
Eglise les traces des Eglises libres qui savent subvenir elles-mêmes à
leurs besoins : « En essayant de nous suffire à nous-mêmes, nous
avons vu, disait-il, nos ressources aller en augmentant». Gardons soigneusement cette parole et surtout efforçons-nous, pour l’honneur de
notre Eglise , de la mettre en pratique. On se sent mal à son aise
quand, toujours et toujours l’on est obligé de dire: les membres de
nos paroisses ne font rien ou à peu|près rien pour leur Eglise. Cette
pensée affligeait M'' Bridel et il nous recommandait tout particulièrement d’y faire attention. «L’argent, disait-il, fait beaucoup de mal
à qui le garde, et beaucoup de bien à qui le donne ». Gardons-nous
d’oublier les avertissements que Dieu nous envoie par la bouche de
tels serviteurs. M''Bridel nous aimait profondément et de longue date;
ceux qui ont eu des relations avec lui peuvent le dire. Je n'en veux
pour preuve que l’intérêt tout amical, l’affection paternelle qu’il témoignait à nos jeunes étudiants qui se trouvaient à Lausanne. Comme
l’on sortait heureux de son cabinet quand on avait passé quelques
instants avec lui I 11 s’intéressait à tout, voyait tout, et savait toujours
mettre un baume bienfaisant sur votre blessure. Quand on voit de
tels hommes s’en aller, un amer regret nous prend, c’est de ne leur
avoir pas dit assez quelle estime, quelle affection on avait pour eux.
Bridel avait fait connaissance , et bonne connaissance , avec nos
Vallées. Pendant son petit séjour au milieu de nous , il avait visité
la Balsille , le Pré du Tour et tant d’autres localités pleines de charme
et d’intérêt historique. « Je connais maintenant le chemin , disait-il,
et je ne resterai pas longtemps avant de vous faire une seconde
visite » , et en date du 14 septembre il nous écrivait encore : Âh ! s’il
» ne fallait pas un si long voyage pour se rendre aux Vallées, je me
procurerais souvent le plaisir d’une visite à ce cher pays et à tant
de bons amis qui s’y trouvent ». — Hélas ! un mois et demi plus
tard Dieu l’appelait à Lui. 11 partait pour un voyage plus bng encore;
il s’en allait au pays duquel on ne revient plus. — Nous pouvons
dire que notre Eglise a perdu en lui un ami sincèrement dévoué »
et puisque nous ne devons plus le revoir ici bas, gardons au moins
le souvenir de sa courte mais bonne visite. i'in
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- 13 —
EYENEfflENTS DE MOIS.
l^’CspaKne ne paraît pas avoir mieux commencé l’année 18G7 que
la précédente. Le 3 janvier 1866 c’était par l’insurrection militaire d’Aranjuez, sous le commandement du général Prim, qu’elle débutait. Le
22 juin, nouveau soulèvement soit à Girone en Catalogne, soit dans
la capitale même, et nouvelle répression. — A partir de « la sanglante
journée », le gouvernement d’Isabelle II n’a fait que descendre la
pente toujours si rapide du despotisme : la presse , l’enseignement,
les niunicipalités , enfin tout ce qui respirait quelque vie a été bâillonné par divers décrets dont ceux du 21 octobre semblaient devoir
être le couronnement. C’était cependant pour la fin de l’année que
le ministère Narvaez réservait ce qu’il avait de mieux. — ün Exposé
de la situation du pays ayant été rédigé et signé dans la nuit du 26
au 27 décembre par 121 membres des Cortès pour être respectueusement mis sous les yeux de la reine , le gouvernement fit envahir
le palais des Cortès par le capitaine général de Madrid, et les députés
signataires , à la tôle desquels se trouvait le président même de la
Chambre , furent arrêtés , puis condamnés qui à la prison , qui au
domicile forcé , qui à la déportation , qui à un exil plus ou moins
volontaire. On ne pouvait s’arrêter en si bon chemin ; le 29 décembre
les Chambres furent dissoutes , et les nouvelles élections fixées jiour
le 10 mars prochain. — Depuis, les arrestations ont continué sur une
si large échelle (jue vers le milieu de janvier une correspondance
de Madrid en portait déjà le nombre à plus de mille cinq cents. —
Lj> plus intéressant de l’affaire toutefois , c’est que , dans le décret
même qui convoque le futur parlement pour la fin de mars, le gouvernement déclare sans détour que les Chambres pourront être
appelées à introduire dans la constitution du royaume les réformes
demandées par l’esprit monarchique (lisez absolutiste) et catholique
de l’Espagne. — Comprenez vous maintenant ? — Nous avons dû
reprendre d’un peu haut cette chronique , certains que le très-catholique pays ne tardera pas à nous donner encore signe de vie , ou
d’autre chose.
Pologne. — Un ukase du 7 janvier divise la Pologne en dix gouvernements et soixante quinze cercles , au lieu des quatre gouvernements actuels. — On estime qu’ainsi assimilée de tout point à la
Russie , le malheureux et héroïque petit royaume aura décidément
cessé de vivre, et mis fin à la lutte désespérée qu’il soutenait depuis
un siècle. — Que voulez-vous qu’il fît contre trois ?
Angleterre. — Les désastres se succèdent depuis deux mois dans ce
pays. On parlait encore des trois à quatre cent victimes du feu grisou
dans la triple explosion qui eut lieu vers la moitié de décembre dans
les mines de charbon de Bamsley, lorsque sur la fin du même mois
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un terrible incendie détruisit toute une aile du palais de cristal avec
ce qu’elle contenait de plantes tropicales et de monuments assyriens.
— C’est maintenant le tour de l’eau à faire ses victimes. Le mois de
janvier ayant commencé à Londres, comme ailleurs, par un froid intense , les patineurs n’eurent rien de plus pressé que de profiter
de la glace des pièces d’eau qu’ornent leurs promenades. — A Regenl’s-Park , par exemple , trois mille personnes se seraient trouvées
en même temps sur le lac , et les plongeons , plus ou moins agréables , n’auraient point manqué, au dire d’un journal de Londres.
Mais cela n’etait rien en comparaison de ce qui arriva une dixaine
de jours plus tard. Le 16 du mois, en effet, sur ce même lac de
Regent’s-Park, la glace s’étant rompue, deux cent personnes sont tombées à l’eau et trente-huit ont été noyées.
ij’AlKérâr , qui a eu tant à souffrir l’été dernier de l’invasion des
sauterelles , vient d’être visitée par un nouveau sinistre. — Dès le
matin du nouvel an les habitants des contreforts du Petit-Atlas observèrent avec inquiétude que leurs sources et leurs ruisseaux tarissaient à vue d’œil. Le lendemain matin , vers deux heures . trois
violentes secousses furent senties dans la région du Tell , et répandirent la consternation dans toute cette partie du pays. La ville de
Blidah est très endommagée , et plusieurs villages sont presqu’entièrement détruits. — Une dernière secousse, qui eut lieu le 4, fut moins
désastreuse. — A Paris, dès le 5 janvier, on parlait déjà d’une centaine de morts et de trois cents blessés. 11 faut espérer que la peur
aura grossi les nombres.
Itfliie. — Malheureusement le mois de janvier ne devait pas s’écouler
sans laisser à l’Italie aussi quelque triste souvenir. ■— Nous ne voulons point parler de la façon tout inattendue dont les rues et les
places de Venise ont été envahies par les immenses flots de la mer
que soulevait le scirocco. — Cela n’est rien auprès des ravages causés
par le même vent au port de Naples. — Du 14 au soir jusqu'au
matin du 16 janvier , pendant près de 30 heures consécutives , la
tempête n’a guère cessé de soulever les flots à une hauteur démesurée
en fracassant les navires de tout pavillon qui se trouvaient là. —
La mer était si furieuse qu’elle semblait vouloir tout emporter. et
les plus vieux napolitains ne se souviennent pas d’avoir jamais vu
pareille catastrophe : — plus de trente navires coulés ou ensablés
dans le port ; des barques de petits caboteuts ou de pêcheurs balayées par centaines et disparues ; — sans compter une demi douzaine
d’autres bâtiments qui auraient sombré dans la rade de Baia et à
Pouzol. La mer est couverte de débris qu’elle va rejetant jusque
dans la ville. Les pertes du commerce s’évaluent à plus de dix millions , et Ton parle de vingt blessés et douze morts.
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NÉCROLOGIE.
M'' le pasteur du Villar, François Gay, après une longue et douloureuse maladie , a ôté enlevé à l’afl'eclion des siens , dans la nuit du
24 au 25 janvier.
Le 26 janvier , à 2 heures de l’après-midi , un nombreux convoi ,
d’au moins 800 personnes, accompagnait au champ du repos la dépouille mortelle du pasteur ; et après la lecture de Rom. XI , 3-36 ,
NF Et. Malan, modérateur ad*, prononça sur la tombe un discours dont
nous e.xtrayons le morceau qui va suivre :
1 Mes frères ! Moïse mon serviteur est mort : telle est l’oraison funèbre
que r.4uteur sacré met dans la bouche de Dieu. Le plus bel éloge
que nous puissions faire sur la tombe du frère que nous pleurons ,
c’est aussi celui-ci : Un serviteur de Dieu est mort!
« Que les jugements de Dieu sont impénétrables ! C est dans la
vigueur de l’âge que notre frère a été enlevé à son Eglise , à sa
paroisse, à sa famille. Né le 31 août 1819, François Gay a été consacré au saint ministère le 3 décembre 1814 et est entré au service
de l’Eglise le 1'"' janvier 1845 , d’abord comme professeur à l’école
latine du Pomaret, ensuite comme pasteur dans cette paroisse que
son bienheureux père avait desservie pendant plus de 10 ans. Simple
dans sa vie et dans toutes ses habitudes , consciencieux dans l’accomplissement des plus petits devoirs, d’une droiture à toute épreuve,
homme de prière, il a dans sa prédication , scrupuleusement biblique ,
annoncé tout le conseil de Dieu , en temps et hors de temps ; il a
été l’ami des pauvres et des affligés qu’il visitait et consolait, à l’exemple de son Maître, sans distinction de personnes. Et cependant le
Seigneur l’a pris à lui à l'âge de 47 ans , et après 22 ans de ministère ; au moment où, riche d’expérience chrétienne, il pouvait travailler
avec le plus de succès à l’œuvre qui lui était confiée. Pourquoi Dieu
l’a-t-il enlevé sitôt à une famille nombreuse dont il était le soutien ?
Il laisse après lui une femme éprouvée , elle aussi, par la maladie ,
et sept enfants , tous en bas âge , qu’il prenait plaisir à consacrer d
son Maître en les élevant dans sa crainte. Sans l’Evangile nous n’aurions pas de réponse à une question aussi pénible. Mais appuyé sur
la parole de Dieu , notre frère avait trouvé une réponse satisfaisante :
Christ est ma vie, disait-il quelques heures avant de mourir, et la mort
m’est un gain.
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" Christ, notre espérance , a vaincu la mort et mis en évidence la
vie et l’immortalité par son évangile, et notre'texte ne nous crie-t-il
pas: Toutes choses sont de Lui, et par Lui, et pour Lui : à Lui seul
soit la gloire dans tous les siècles — Amen.
« Ce sont les promesses de l’Evangile qui ont soutenu notre frère
pendant sa maladie et en face de la mort. C’est là qu’il a puisé cette
patience chrétienne , cette résignation et cette paix que le monde ne
connaît pas. Chers frères , qui avez reçu ses enseignements et qui
avez été par son moyen conduits à la fois et fortifiés dans l’espérance,
vous auriez vu dans ces moments suprêmes que votre pasteur a pu,
à l’exemple de l’Apôtre, vous dire: j’ai cru, c’est pourquoi j’ai parlé;
il a souffert en chrétien ; et vous aussi qui , pour un motif quelconque , n’avez pas accepté son ministère , vous auriez reçu auprès du
lit du mourant édification et instruction ; dans sa maladie, cet homme
de pÿCre vous a encore tous portés au pied du trône de notre
Père Ké|este •. —
L’aWmblée s’est associée de cœur à la priére-par laquelle NP Et.
Malan'v en terminant son discours , a demandé au Seigneur d’avoir
compassion de notre Eglise qu’il a éprouvée en lui enlevant à quelques mois de distance, deux fidèles serviteurs ; — de donner au
pasteur défunt un successeur pieux et dévoué, capable de continuer
au sein de la paroisse une œuvre bénie , — et d’être le soutien de
la veuve et le père des orphelins.
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